Centenaire d’un enragéPasolini, 100 ans et toutes ses dents
Derniers feux pour le siècle du poète, cinéaste et intellectuel engagé.

À mesurer l’éclat que conserve l’astre rougeoyant de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) près de cinquante ans après sa mort, la nostalgie de ce début de XXIe siècle pour la figure artistique et engagée du fameux Italien trahit une lacune, une incapacité à embrasser aussi large et aussi fort sur un horizon toujours politiquement orienté. L’époque n’en a pas fini avec l’agitateur acharné qui fut peut-être avant tout un poète de haut vol doublé d’un cinéaste à l’abordage de la société.
Aura sulfureuse
À l’occasion de son centenaire, les hommages ont fusé et se poursuivent au gré de nombreuses publications. Il y eut la publication, au Seuil, de l’entretien, inédit en français, avec Jon Halliday, «Pasolini par Pasolini», document qui lui rendait la parole de manière très directe. Plus récemment, Hervé Joubert-Laurencin a fait paraître chez Macula une somme détaillée, «Le Grand Chant – Pasolini poète et cinéaste». L’ouvrage fouille avec une érudition infinie dans les recoins les moins connus de l’activité débordante de Pasolini, notamment son travail de scénariste, à la jonction de son œuvre littéraire et cinématographique.
Le spécialiste, professeur d’esthétique et d’histoire du cinéma à l’université Paris Nanterre, ne laisse rien de côté et plonge avec gourmandise dans des exégèses flirtant parfois avec une surinterprétation assumée. Son ouvrage touffu, destiné à des lecteurs déjà avertis, possède du moins le grand mérite de ne pas séparer le poète du cinéaste, remettant sans cesse en jeu les relations esthétiques qui se nouent entre ces deux disciplines où l’aura populaire mais sulfureuse du réalisateur a trop souvent pris le dessus dans l’histoire de sa postérité. Malgré sa complexité, «Le Grand Chant» le restitue dans le mouvement global de son œuvre.
Les films, encore
Reste que les films demeurent la porte d’entrée la plus accessible et la plus moderne à la poétique d’un Pasolini qui cherchait sans relâche l’attention de ses contemporains. Carlotta vient d’éditer un coffret Blu-Ray très solide qui, sans être une intégrale – manquent notamment «Théorème» et «Salò ou les 120 journées de Sodome» – réunit «Accatone», «Mamma Roma», «La Ricotta», «L’Évangile selon Saint Matthieu», «Des oiseaux petits et gros», «Enquête sur la sexualité», «Œdipe Roi», «Carnet de notes pour une Orestie africaine» et «Médée» dans des versions restaurées. Signalons à ceux qui seraient allergiques au petit écran que la Cinémathèque suisse salue encore le cinéaste et que deux de ces films, «Œdipe Roi» (je 8 déc., 15 h) et «Uccellacci e uccellini» (ma 13 déc., 21 h) sont encore à voir à Lausanne.
Enfin, pour ceux qui partiraient prochainement à Paris, mentionnons une exposition photographique à la Mairie du Xe arrondissement, composée de 52 tirages du photoreporter Rodrigo Pais (1930-2007). Toujours à Paris, le Festival d’Automne présente, du 3 au 10 décembre à la Fondazione Sozzani, la performance «Embodying Pasolini» d’Olivier Saillard et Tilda Swinton où l’actrice effectue en public un essayage de certains des costumes de ses films. Dans les prétextes à commémoration, une limite est-elle atteinte?
«Le Grand Chant. Pasolini poète et cinéaste», Hervé Joubert-Laurencin, Éditions Macula, 864 p.

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