Papyrus: les employeurs désarçonnés
Les milliers de Genevois qui emploient des femmes de ménage, nounous ou aides à domicile au noir jouent un rôle déterminant dans le projet de régularisation des sans-papiers.

L'opération Papyrus, c'est une ville dans la ville qui s'agite. Des dizaines de milliers de sans-papiers qui ont pris connaissance de la procédure facilitée de régularisation en cours, des syndicats et collectifs de sans-papiers dont les permanences sont prises d'assaut et des dossiers qui s'apprêtent à parvenir à l'office de la population.
Dans cette procédure répondant à des critères objectifs, les employeurs jouent un rôle déterminant. Souvent, c'est à eux qu'il revient de signer la déclaration selon laquelle le candidat à la régularisation a été employé et donc bien présent à Genève (5 ans au minimum pour les familles avec enfants; 10 ans pour les autres). Problème, seule une minorité de sans-papiers sont déclarés à Genève. Dans l'économie domestique, on évalue à 30 000 le nombre de personnes qui travaillent, chez des particuliers dans la majorité des cas.
Si Chèque-service permet depuis de nombreuses années de se mettre en conformité avec la loi, 6600 contrats «seulement» étaient enregistrés à la fin de 2016. La norme dans le secteur, ce sont des relations de travail sans contrat et un salaire transmis de gré à gré. Au mépris des lois et contrats types qui encadrent le travail domestique. Jusqu'alors, la situation avait beau être connue, elle bénéficiait d'une certaine mansuétude des autorités qui considéraient le secteur domestique comme «le seul où la pénurie est réelle».
Contrôles déjà effectués
La donne a changé et l'Etat ne s'en cache pas. L'objectif de Papyrus n'est pas d'engager une chasse aux employeurs indélicats, mais il est de mettre de l'ordre dans l'économie domestique dont les acteurs pourraient représenter 80% des dossiers de l'opération. Lors du lancement, Christina Stoll, directrice générale de l'Office cantonal de l'inspection et des relations du travail, a fait savoir que, durant la phase test, 200 employeurs ont été contrôlés. «Si on met de l'ordre dans ce secteur, le gros du travail aura été fait», assurait-elle.
Autant dire que ces mots, les employeurs de femmes de ménage, nounous ou garde-malades non déclarés les ont entendus. Dans leur voix, beaucoup de questions*. Mère de famille, Isabelle** a engagé une femme sud-américaine il y a huit ans pour s'occuper de ses enfants et de la maison à plein temps. Cette dernière est en Suisse depuis près de quinze ans et a manifesté son intérêt pour une régularisation par le biais de Papyrus. «J'avoue: je n'ai jamais payé l'AVS. Aujourd'hui, si je dois me mettre en conformité, j'aurai des années d'AVS à rattraper auxquelles s'ajoutent 5% de frais et une amende. Ce serait une somme faramineuse!» Elle le dit clairement: «Ma crainte, c'est que mon employée doive me dénoncer.» Malgré tout, la mère de famille considère qu'elle traite son employée «le mieux possible». Salaire versé? 3700 francs par mois, duquel 500 francs sont retirés pour le studio qu'elle loue pour elle. «Je lui ai proposé cette solution pour éviter qu'elle ne se retrouve à vivre entassée dans une sous-location abusive, comme de nombreuses personnes dans sa situation.»
Du côté des acteurs institutionnels, syndicaux et associatifs qui portent l'opération Papyrus, la donne est claire. «Ceux qui emploient des sans-papiers en s'acquittant des charges sociales ne courent aucun risque. Pour les autres, c'est l'occasion de se mettre en conformité», assène Thierry Horner, secrétaire syndical au SIT qui voit les dossiers de candidats à la régularisation par centaines arriver sur son bureau. Pour lui, ce sont davantage les situations de travailleurs établis au domicile des patrons qui se révèlent problématiques à Genève. Les salaires sont souvent largement inférieurs à ceux définis dans le contrat type, soit 3756 francs par mois pour un employé non qualifié. Dans la catégorie la plus représentée, celle des hommes ou femmes de ménage employés quelques heures par semaine, les tarifs horaires pratiqués oscillent en moyenne entre 20 et 25 francs. Or, le contrat type de l'économie domestique fixe la somme de 19 fr. 28 de l'heure. Aussi, une mise en conformité ne serait pas si coûteuse.
Chèque-service facilite la tâche
Chez Chèque-service, voilà treize ans qu'une petite équipe permet de déclarer aux assurances sociales obligatoires les salaires des personnes travaillant à domicile. La structure est placée sous l'égide de PRO, entreprise sociale privée, et fonctionne comme une fiduciaire. En indiquant chaque mois le montant versé à leurs employés de maison, les «patrons» reçoivent un bulletin de versement trimestriel pour s'acquitter des charges sociales de manière provisionnelle. Un mois après le lancement de Papyrus, Chèque-service ne connaît pas d'envolée massive de ses adhésions. «Nous recevons beaucoup d'appels d'employeurs et d'employés. Il y a certes une légère augmentation de notre activité, mais difficile de dire si c'est en lien avec le projet de régularisation», observe la responsable Anne Babel. Quoi qu'il en soit, les employeurs peuvent se mettre en conformité également pour les salaires versés par le passé. Anne Babel l'assure: «Nous ne jouons aucun rôle de contrôle, hormis sur le respect du salaire minimum. Les données sont confidentielles.»
On le voit, la régularisation est un billard à trois bandes. Dans sa position, l'employeur peut faciliter l'accès aux papiers à son employé à condition qu'il accepte les règles. S'il refuse, tout se complique. «Si un employeur licencie son employé parce qu'il entreprend des démarches de régularisation, nous ne ferons aucun cadeau. Nous le dénoncerons», avertit Thierry Horner. L'éventail de sanctions va de l'amende à la sanction pénale.
«Protection à double tranchant»
Isabelle a commencé à se poser des questions sérieuses sur les risques encourus. Mais la mère de famille émet des doutes quant aux bienfaits du projet Papyrus. «Je comprends qu'on veuille les protéger, mais c'est à double tranchant. Ces personnes touchent actuellement un salaire net d'impôts. En se régularisant, elles vont coûter plus cher et se trouveront en concurrence avec d'autres employés domestiques qui acceptent le travail au noir. Car il ne faut pas être naïf, le travail non déclaré existera toujours.»
* Les employeurs peuvent être renseignés gratuitement et de manière anonyme lors des permanences du CSP (les mardis de 10h à 13h, 14, rue du Village-Suisse) et de l'EPER (les mercredis de 16h à 20h, 1, rue de l'Orangerie).
** Prénom d'emprunt
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Les tests de français sont pris d'assaut
Quinze ans de négociations secrètes. C'est ce qui a été nécessaire pour mettre au point l'opération Papyrus. Des discussions si confidentielles que les deux structures agréées par l'Etat pour valider les tests de français ont été prises de court lorsque le processus a été lancé le 22 février. Depuis, à l'Université ouvrière de Genève (UOG) et à l'œuvre suisse d'entraide ouvrière (OSEO), il s'agit de faire passer des tests oraux par centaines en vue de délivrer le certificat nécessaire à la régularisation. «Nous avions une capacité d'accueil de 25 tests par semaine que nous avons pu porter à 45», informe Christophe Guillaume, secrétaire général de l'UOG où près de 180 examens par mois sont prévus jusqu'a l'été. A l'OSEO, le directeur Christian Lopez a également assisté à l'arrivée soudaine de dizaines de candidats et s'est vu contraint d'engager des examinateurs pour augmenter la cadence. Chaque examen dure entre 30 et 45 minutes et coûte 90 francs.
Si les temps d'attente étaient de trois mois au départ, aujourd'hui, il est d'environ un mois à l'UOG et de trois semaines à l'OSEO. Le test prend la forme d'un échange oral avec un examinateur. S'il est réussi, le candidat repart avec une attestation qui certifie que le niveau A2 est atteint. «Ce niveau signifie qu'on se fait comprendre et qu'on est capable de comprendre des consignes», détaille Christian Lopez. Et ceux qui le ratent? L'inscription à un cours de français en vue d'atteindre le niveau A2 devrait suffire à prouver une intégration réussie, indique le kit Papyrus distribué aux sans-papiers candidats à la régularisation.
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