Théâtre enfance et jeunesse«Oz», ou le salut d’un être par son imaginaire
Avec Robert Sandoz à la réécriture, Joan Mompart adapte pour la scène d’Am Stram Gram le «conte fondamental» signé par l’Américain Lyman Frank Baum.

«Somewhere, over the rainbow…» Pour les parents et les grands-parents, il suffit de ces quatre mots nappés de leur sirupeuse mélodie pour voir aussitôt apparaître Judy Garland en technicolor sur la tenture de leur mémoire, et frissonner avec elle dans sa quête du Magicien d’Oz. Pour les aïeux, c’est «The Wonderful Wizard of Oz», le plus sombre classique de la littérature enfantine publié en 1900 par Lyman Frank Baum, qui ferait foi. Pour les Genevois dès 7 ans qui fréquentent le Théâtre Am Stram Gram, en revanche, la «route de brique jaune» qui mène à la Cité d’Émeraude s’emprunte en direct, sur une scène, avec cinq comédiens en chair et en os, des lumières monochromes, un décor fait de centaines de peluches, une bande-son suggestive et même une marionnette inerte.
Le film, ici, ne sera qu’un petit bonus en forme de clin d’œil, qui introduit et conclut le parcours initiatique. Dans l’adaptation par Robert Sandoz, la métamorphose de Dorothy commence en effet à Balexert, temple de la marchandise, où la fillette (Clémentine Le Bas), à l’écran, supplie son père (Raphaël Archinard) de lui acheter les fameux souliers d’argent. Le refus paternel déclenche la tornade intérieure de la cupide fillette: elle s’évanouit, s’absente à elle-même et s’éveille sur le plateau, entre trois murs que tapissent des Muntchkinz aux visages de doudous. D’entre les nounours surgiront alors un à un les clones des protagonistes de la vidéo, à savoir, dans l’ordre inverse à la chronologie, le lion dépourvu de courage (Alice Delagrave), le cuirassé sans cœur (Archinard bis) et l’épouvantail privé de cervelle.

Être plutôt qu’avoir
Des trois compagnons de voyage, ce dernier est de loin le plus édifiant. Matteo Prandi ne lui donne pas seulement une belle dose de ressort physique, il porte à merveille les jeux de mots voulus par Sand-Oz pour insuffler son sens à la fable. Enchevêtré aux allusions anticonsuméristes, ce sens se résume en un calembour, le plus évident: ose. Ose reconnaître que l’amour prime la possession. Ose admettre qu’être vaut davantage qu’avoir. Ose enfin, comme Alice au Pays des merveilles, vérifier que l’imaginaire transforme par magie son sujet.
En marge de sa création, Joan Mompart aime à citer cette phrase d’André Breton: «L’imaginaire est ce qui tend à devenir réel.» Pour le comédien, metteur en scène et désormais directeur d’institution («chacune de ces activités, quand je l’exerce, me permet d’habiter au mieux la société»), le chemin de Dorothy la mène d’une convoitise intempestive à la présence au monde. Grâce au rêve, «qui n’entre dans aucun PIB alors qu’il est la chose la plus importante», elle découvre l’essentiel: ce lien à l’autre que le commerce rend déficient. Or, pour persévérer sur la route de brique jaune, Mompart a conscience que chacun doit pouvoir compter sur «une paix de l’intime». «La recherche de cette paix, assure-t-il, dicte ma saison.»

«Oz» Jusqu’au 16 oct. au Théâtre Am Stram Gram, www.amstramgram.ch
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