Liquide, liquider, liquidités… Les Italiens, inventeurs de tout ce qui touche à l’argent, ne s’attendaient sans doute pas à ce que la liquidità fasse une aussi longue carrière. Car lorsque l’on parle de l’argent liquide, on fait référence à une forme de monnaie qui a peut-être encore de beaux jours devant elle.
Les progrès ahurissants du numérique ont semblé annonciateurs de l’avènement prochain d’une monnaie tokénisée, ce jeton de monnaie scripturale – «une nouvelle monnaie pour la Suisse numérique», annonçait en mars dernier un livre blanc de l’Association suisse des banquiers – susceptible de remplacer à terme nos espèces sonnantes et trébuchantes. Ces mêmes banquiers s’empressaient ainsi de devancer, pour le cas où, les monnaies numériques de banques centrales sur lesquelles travaille la quasi-totalité des banquiers centraux de l’Occident industrialisé. Or on s’aperçoit que les projets en cours ralentissent, que certains sont rangés au placard, et que de nombreux officiels expriment même quelques doutes sur l’exercice, tant l’utilité de ces futures MNBC paraît à la réflexion modeste en regard de celle des systèmes scripturaux existants, qui fonctionnent bien, ne coûtent pas (trop) cher et bénéficient des améliorations qui leur sont constamment apportées, s’agissant en particulier de la rapidité d’exécution des paiements.
Par ailleurs, en Suisse en tout cas, les billets en circulation continuent d’augmenter, en chiffres absolus comme en proportion du PIB, sans parler du total de la monnaie de base (monnaie centrale dans le jargon helvétique, c’est-à-dire la somme des espèces en circulation et de leur fraction mise en réserve à la banque centrale), seize fois plus importante qu’il y a vingt ans et représentant désormais plus de deux fois ce même PIB. L’argent liquide n’est donc pas mort, même si les énormes réserves qu’en détiennent les banques auprès de la BNS doivent surtout à la peur de nouvelles crises bancaires et pourraient dès lors retrouver, une fois la confiance rétablie, des niveaux plus habituels.
«L’usage bien ancré des billets dans les habitudes de paiement commence à poser problème.»
Reste que l’usage bien ancré des billets dans les habitudes de paiement commence à poser problème. Fonction malgré tout décroissante de l’ensemble des transactions, ils deviennent du coup plus coûteux à traiter: les distributeurs de billets se font rares, les files d’attente aux guichets s’allongent, certains commerçants rechignent à les accepter, et il faudra peut-être bientôt payer pour faire de la monnaie. Quant aux services en ligne et automates de toutes sortes, ils demeurent évidemment sourds aux protestations des réfractaires au numérique, qu’ils renvoient aux cartes de paiement et autres apps du genre TWINT.
Une pression de plus en plus forte s’exerce ainsi sur les modes de paiement qui soulèvent quelques inquiétudes dans les milieux méfiants de tout ce qui touche à la sphère privée, et a conduit en particulier au lancement par le Mouvement suisse pour la liberté (MSL) de l’initiative «L’argent liquide, c’est la liberté». Cette initiative, la deuxième du genre, a recueilli suffisamment de signatures pour que le Conseil fédéral se sente obligé de lui opposer un contre-projet qui sera élaboré d’ici au mois d’août. Une autre proposition, qui visait à introduire une obligation d’accepter l’argent liquide, a en revanche été écartée (postulat Birrer-Heimo du 14 décembre 2018).
Pendant qu’une résistance s’organise contre des évolutions technologiques qui peinent ici à convaincre, les pays émergents, africains en tête, les ont d’emblée adoptées. Pour une fois, c’est le Sud qui fait ainsi la leçon au Nord!
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Chronique économique – Où l’argent liquide fait des vagues