Opérer les enfants «intersexes»? Le corps médical reste prudent
L'Académie suisse des sciences médicales estime qu'on manque de données pour édicter des directives.

Garçon ou fille? En Suisse, le sexe d'un nouveau-né doit être défini dans les trois jours qui suivent sa naissance. Mais il arrive qu'on ne puisse pas répondre à cette question. Les personnes concernées, qu'on appelait par le passé hermaphrodites, sont quelques milliers en Suisse. Elles sont aussi nommées «intersexes». Ces variations du développement sexuel posent des questions récurrentes: faut-il effectuer des opérations, lesquelles et à quel âge? Face à ces interrogations, le corps médical reste prudent. La Commission centrale d'éthique de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM) a ainsi conclu, le 16 décembre, qu'il ne serait actuellement «pas pertinent» d'édicter des directives médico-éthiques sur le sujet. Les personnes directement touchées, elles, se battent pour faire interdire les opérations qui ne sont pas nécessaires sur les jeunes enfants. Ces pratiques ont aussi été condamnées par des instances internationales. En Suisse, la Commission nationale d'éthique a recommandé en 2012 de ne pas effectuer de traitement aux conséquences irréversibles avant que l'enfant ne puisse se prononcer lui-même, sauf indication médicale.
Un délai à allonger
Concrètement, comment les médecins doivent-ils agir? En 2012, la Commission centrale d'éthique (CCE) de l'ASSM a estimé une première fois que ce n'était pas à elle d'élaborer des directives. Cette année, après que le Comité des droits de l'enfant s'est dit «profondément préoccupé» par la situation, elle a été chargée de remettre l'ouvrage sur le métier.
Résultat? Selon la CCE, il serait «judicieux» d'agir, mais à moyen terme. A ses yeux, on manque de données et d'études de long terme pour le faire aujourd'hui en s'appuyant sur une base solide. Elle conclut qu'il faut réaliser une enquête sur le sujet. Et que les directives professionnelles sont du ressort des sociétés de discipline (celles des chirurgiens ou des urologues pédiatriques, par exemple).
Dans sa prise de position, la CCE émet trois autres recommandations. Primo, les offices de l'état civil devraient laisser 30 jours, et non pas trois, pour assigner un sexe à ces enfants. Deuxièmement, le financement de l'accompagnement psychosocial des petits et de leurs parents devrait être garanti. Finalement, les conseils et les traitements devraient être concentrés dans quelques centres et il faudrait encourager la création de réseaux de spécialistes (médecins, psychologues, éthiciens…)
«C'est une excuse!»
Markus Bauer, de l'association Zwischengeschlecht.org (littéralement: entre les sexes), salue ces derniers points. Pour le reste, il est déçu: «Une commission d'éthique, si elle faisait son travail jusqu'au bout, devrait s'exprimer sur les opérations», s'exclame-t-il. Le manque de données? «Les médecins disent cela depuis vingt ans. Mais ils refusent systématiquement de le faire. C'est une excuse!» Il ajoute que l'assurance-invalidité, qui finance les opérations, possède des informations sur le nombre et le type de traitements.
Selon Christian Kind, ancien président de la Commission d'éthique de l'ASSM, ces données sont insuffisantes. «Nous voulons savoir quels sont les résultats à l'âge adulte, si ces personnes sont satisfaites de leur apparence, de leur fonction sexuelle et de leur vie.» Pour lui non plus, il ne faut pas d'interventions inutiles. Mais on en revient au cœur du problème: comment les définit-on? Le professeur note qu'il existe de nombreuses anomalies congénitales, dont la majorité n'est pas liée à une variation du développement sexuel, et qu'il est parfois difficile de les distinguer.
Des risques médicaux
Christian Kind donne l'exemple du syndrome adréno-génital, qui peut rendre les fillettes plus masculines. «Du point de vue des hormones et des chromosomes, ce sont clairement des filles. Il faut opérer car il y a des risques médicaux. Ensuite, la question est de savoir quelles interventions sont nécessaires. Celle qui vise à réduire le clitoris fait débat.» Sa conclusion: «Nous sommes devenus très prudents.»
On l'a compris, tout n'est pas noir ou blanc. Le Dr Jean Martin, ancien médecin cantonal vaudois et ancien membre de la Commission nationale d'éthique, estime malgré tout que l'ASSM aurait pu aller plus loin. «Elle préconise une série de changements importants, reconnaît-il. Mais elle se défausse sur les sociétés de discipline médicale en disant que c'est à elles de se déterminer sur les interventions. Elle pourrait insister un peu plus auprès des spécialistes concernés pour que des directives plus étoffées soient formulées.»
Daniela Truffer, membre fondateur de Zwischengeschlecht.org, n'attend pour sa part plus grand-chose des médecins. Aux yeux des militants, seule une législation, avec un délai de prescription étendu, permettrait d'éviter ces interventions. Une bonne solution? «Cela ne me paraît pas souhaitable, conclut Jean Martin. Une loi, cadre rigide et malaisé à modifier, ne permet pas d'être adéquatement nuancé et de suivre l'évolution. La liberté d'appréciation médicale doit être maintenue.»
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