
Pour faire revenir en Suisse les emplois et les recettes fiscales qui ont été perdus, le parlement a voté en 2021 la modification de la loi fédérale sur l’impôt anticipé (LIA). Ce moyen de faciliter l’émission d’obligations en Suisse serait favorable à l’économie pour les uns, néfaste pour les recettes de l’État pour les autres. À la suite d’un référendum, on votera le 25 septembre sur cette question. Michel Matter, conseiller national vert’libéral, et Christian Dandrès, conseiller national socialiste, exposent leurs points de vue.
Un avantage pour notre secteur public
Les conditions-cadres pour l’émission des obligations en Suisse sont très défavorables par rapport au reste de l’Europe. Nous avons le taux d’impôt anticipé le plus élevé au monde, ce qui fait que les investisseurs étrangers ne s’y intéressent pas. Et pourtant, cela en vaudrait la peine: nos collectivités publiques utilisent largement les obligations pour se financer.
Notre Canton a actuellement 9,3 milliards de francs suisses de dette obligataire et la Ville de Genève, 600 millions. Les TPG ont également émis des obligations pour 260 millions de francs. Les collectivités et les entreprises publiques qui se financent ainsi trouvent certes des prêteurs suisses. Mais en supprimant l’impôt anticipé, elles pourraient intéresser beaucoup d’autres investisseurs ailleurs dans le monde. Et ainsi, elles pourraient verser des intérêts moins élevés qu’aujourd’hui. Un financement élargi profiterait avant tout au contribuable genevois, qui serait moins mis à contribution, et à l’État, qui aurait une meilleure marge de manœuvre financière.
La réforme soumise à votation améliore les conditions pour l’émission d’obligations et réduira ainsi les coûts de financement des collectivités publiques. Si l’on fait l’hypothèse que le Canton de Genève versera 0,15% d’intérêt en moins à ceux qui lui prêtent de l’argent, il économisera 14 millions de francs en charge d’intérêt par an sur l’ensemble de sa dette obligataire.
Ce n’est pas négligeable, d’autant que Genève se trouve dans une situation financière fragile. Selon le comparatif 2020 des finances cantonales et communales publié par l'Université de Lausanne, notre Canton a le record suisse de dette brute par rapport aux revenus: 228% en 2020. Et les besoins de financement, notamment dans l’infrastructure, l’énergie et la transition écologique, continuent de croître. La réforme permettra au secteur public de financer les investissements à un coût moins élevé.
Nous savons aujourd’hui que des milliards seront nécessaires à court et moyen terme pour améliorer, entre autres, l’efficience énergétique et augmenter la production d’énergie renouvelable. L’émission des «green bonds», ou «obligations vertes», est un mécanisme efficace pour financer la transition écologique, mais l’impôt anticipé actuel empêche d’élargir le cercle des investisseurs. La Suisse est dans ce domaine un nain par rapport au Luxembourg, et je souhaite que cela change. Je vous invite donc à soutenir cette réforme le 25 septembre.
L’argent manquera pour la santé et l’éducation
La crise du Covid n’a pas freiné les ardeurs de la droite à couper dans les impôts des riches et super-riches. En 2019, elle défendait une baisse de la taxation des entreprises (RFFA) avec des cadeaux aux gros actionnaires (10% ou plus). La perte pour la collectivité atteint 2 milliards de francs par an. 2021 fut une année record avec l’abolition du droit de timbre (250 millions/an), de l’impôt anticipé (1 milliard à court terme puis 200 millions/an) et des droits de douane sur les produits des industriels (563 millions/an).
Les salarié·e·s, les petits indépendant·e·s et commerçant·e·s ont en revanche été laissé·e·s pour compte. La droite a refusé de les aider en réduisant, même pour une courte durée, une partie des loyers commerciaux.
Sur quoi voterons-nous? L’impôt anticipé (IA) garantit que les revenus de l’épargne et de la fortune soient déclarés. Il est déduit des intérêts versés puis remboursé à celles et ceux qui remplissent correctement leur déclaration d’impôt. La modification soumise au vote veut supprimer l’impôt anticipé pour les sociétés ayant leur siège en Suisse et pour les investisseurs domiciliés ou ayant leur siège à l’étranger (156 milliards). La population suisse, quant à elle, continuera à payer sur les intérêts des comptes épargnes.
Pourquoi voter non? Supprimer l’impôt anticipé coûterait 1 milliard à court terme puis 200 millions par an. Cette projection est basée sur les taux d’intérêt de 2021. Or ceux-ci augmentent. Lorsqu’ils atteindront 3%, la perte serait de 600 millions par an.
Pour la droite, les déficits publics ne sont pas un problème, pour autant que leur remboursement se fasse par le biais d’impôts indirects. Les privilégié·e·s, dont la droite défend les intérêts, peuvent même profiter des politiques monétaires, grâce à l’augmentation des prix de l’immobilier et des cours sur les marchés boursiers.
La suppression de l’impôt anticipé ferait disparaître un instrument simple et efficace pour lutter contre la fraude, sans solution de remplacement. En effet, cet impôt est perçu de manière anonyme. L’administration fiscale ne connaît pas l’identité de la personne qui reçoit l’intérêt sur lequel l’impôt est prélevé. La droite veut remplacer ce mécanisme par l’échange d’informations avec l’étranger, procédure lente et bureaucratique.
Avec la suppression de l’impôt anticipé, l’argent manquera pour la santé, l’éducation et la sécurité! Chaque cadeau fiscal entraîne des coupes dans les services publics et des propositions de hausse de la TVA qui frappe moins les privilégié·e·s – proportionnellement au revenu – que le reste de la population. À la différence des personnes défavorisées, les privilégié·e·s ne sont pas obligé·e·s de consommer la plus grande partie de leurs revenus. AVS 21 va dans ce mauvais sens (+0,4% de TVA), alors que la TVA représente déjà 1/3 des recettes fiscales totales de la Confédération.
Après la suppression du droit de timbre en février, refusons la suppression de l’impôt anticipé le 25 septembre.
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Face-à-face – On votera sur une modification de la loi sur l’impôt anticipé
Deux conseillers nationaux expliquent pourquoi ils voteront l’un pour et l’autre contre la modification de la LIA.