Fête de la musiqueOn s’essaie au thérémine, cet instrument de science-fiction
Au Grand Théâtre, le musicien Bruno Brasil a initié le public à l’une des plus vieilles machines de la galaxie électronique. On le joue avec les mains, sans rien toucher.

Imaginez le cri mélancolique d’une baleine sous les flots. Ou le sifflement mystérieux d’une soucoupe volante. Les notes semblent flotter dans l’éther. Elles évoquent le violon, la contrebasse, peut-être même la voix humaine. Voilà tout le thérémine, cet instrument de science-fiction.
Au quatrième étage du Grand Théâtre, il y a un bar avec des étoiles au plafond. Rien à boire ce samedi. Mais tout à entendre. À l’invite de la Fête de la musique, qui a délégué ici le festival Electron, le public se présente, s’assied et tend l’oreille. Debout devant son instrument, Bruno Brasil entame un étrange ballet. Le buste droit, les mains reculant et avançant en cadence, il ne touche rien. Pourtant, une mélodie se dessine.
L’espion qui aimait trop la musique
Le thérémine ressemble à cela. Un pied solide, sur lequel est fixée une boîte contenant deux oscillateurs, comme dans un émetteur radio. À gauche de la boîte émerge une tige faisant une boucle, sorte de point d’interrogation couché. À droite, une barre posée à la verticale. Ce sont les deux antennes de l’instrument vers lesquelles l’interprète tend les bras, côté droit pour diriger la mélodie, à l’opposé pour contrôler le volume.
Si simple en apparence. Autrement plus difficile en vérité, ainsi qu’on le constatera lorsque l’assistance est conviée à essayer d’elle-même. «Ça paraît magique? C’est purement scientifique!»

L’invention remonte à 1920. Un siècle déjà pour l’un des premiers, sinon le premier instrument électronique jamais conçu. L’œuvre de Léon Theremin, l’espion russe qui aimait trop la musique pour accomplir ses tâches patriotiques.
Envoyé à New York avec sa drôle de machine pour vanter la réussite du communisme, ce féru de physique, également de violoncelle, finira dans les laboratoires secrets des goulags avant d’être réhabilité. Léon Theremin quitte définitivement ce monde en 1993, à Moscou. L’ingénieur russe était alors âgé de 97 ans. Son invention, elle, n’en finit plus de revivre sous les doigts experts de ses adeptes, en Suisse comme dans le reste du monde.

L’Allemande Carolina Eyck, l’Australien Miles Brown, la Lausannoise Coralie Ehinger encore, alias Therminal C: dans la suite de Clara Rockmore, pionnière parmi les usagers du thérémine, les figures se suivent qui remettent régulièrement l’engin au cœur de la création. Une communauté s’est instaurée à l’internationale, avec ses repères, ses rendez-vous, à Colmar, Lippstadt, Oxford. L’esprit reste au partage des connaissances. Et les connaissances, des techniques de jeu au savoir-faire en matière de réparation, restent aussi précieuses que les anciens modèles, ceux dont les prix deviennent exorbitants.
Avantage à qui connaît ne serait-ce qu’un peu d’électronique? Bruno Brasil nous a prévenus. «Une mouche qui passe peut tout dérégler.» Le thérémine est ainsi fait, qu’on dirait qu’il vit sa propre vie, confie le musicien valaisan. «Dans mon local à Martigny, par exemple, ça ne fonctionne jamais. Est-ce un problème électronique? Aussi étrange que cela puisse paraître, la raison nous échappe.»

Il faut observer les gestes précis de Bruno Brasil. Apprécier enfin ses goûts musicaux. Après tout, c’est cela aussi la finalité du thérémine. Jouer des sons qu’on aime.
Le musicien valaisan interprète «Un amico», thème d’Ennio Morricone pour le film «Revolver» en 1973. Trouver la bonne note, choisir sa fréquence: les possibilités sont infinies, qu’on s’emploie à reproduire la gamme tempérée ou que l’on recherche le plus infime des micro-tons. Bruno Brasil sourit. «Cet instrument est comme de la crème.»
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