Théâtre du GrütliOn achève bien les danseurs de rock acrobatique
La comédienne Charlotte Dumartheray et le chorégraphe Kiyan Khoshoie créent «Kick Ball Change», une allégorie de l’acharnement au travail pleine de ressort et d’ironie.

Sauter en rythme pendant des heures, compter chacun de ses pas, les synchroniser au millimètre avec ceux de son (sa) partenaire, se lancer soudain dans une figure aérienne, tomber, reprendre, décomposer, reprendre encore, au ralenti, en accéléré, et ne jamais, jamais se laisser décourager. Mais à quoi bon? Pourquoi s’astreindre à un entraînement si inhumain? Au nom de quoi s’éreinter des années durant dans l’espoir de présenter une routine d’une minute trente lors d’une obscure compétition?
À la cadence où vont les choses, chacun a de bonnes raisons de mettre en balance l’effort fourni et le bénéfice retiré. L’engagement qui, dans l’imaginaire collectif, s’apparentait aux sportifs, voire à certains artistes, s’est peu à peu généralisé à tous les secteurs de la société laborieuse. À l’inverse, l’aliénation dénoncée jadis dans les usines s’est répandue dans les professions tertiaires et jusqu’aux métiers du divertissement.

Et pourtant. Prenez Charlotte Dumartheray et Kiyan Khoshoie, amis depuis qu’ils ont suivi ensemble des cours de rock acrobatique à l’âge de 14 ans, avant de bifurquer, lui vers la danse, elle vers le théâtre – et de présenter, en duo, un «Grand écart» qui continue de susciter l’enthousiasme quatre ans après sa création. Ils en ont redemandé, eux, de la gymnastique à haute dose. Sans être spécialement masos, ils sont retournés de leur plein gré chez leur coach d’antan, Maurizio Mandorino, pour réapprendre la discipline afin d’en tirer un nouveau spectacle, «Kick Ball Change», du nom d’un pas de base de ce style très technique.

Sur le plateau quasi nu du Grütli, ils proposent un show particulièrement musclé. En veste de training aux couleurs de leur équipe Les Dynamic Swingers (quand ils ne portent pas leurs habits de lumière), ils s’exercent pendant une heure sans montrer le moindre signe d’essoufflement. Sans échanger non plus trop de paroles, sauf lorsqu’ils ajoutent des contraintes à l’exploit physique pour mieux se préparer au championnat: en plus de sourire «sans les dents», ils se forcent alors à répondre aux questions d’une interview improvisée, à résumer une pièce de Molière ou à raconter des blagues potaches tout en sautillant comme des piles Duracell.
Leur gestuelle traduit les émotions qu’aucun véritable dialogue ne viendra exprimer. Rage de vaincre. Rivalité et esprit d’équipe en proportion égale. Acharnement à remettre le pied à l’étrier après la chute. Ces frissons expliquent-ils l’addiction que développe toute activité exigeante, qu’elle soit artistique, sportive ou autre? Dans leur environnement kitsch de Concours Eurovision ou de tournoi de patinage artistique, Charlotte Dumartheray et Kiyan Khoshoie n’apportent pas la réponse. C’est tout le sens de leur exercice de style rock’n’roll.
«Kick Ball Change» jusqu’au 22 oct. au Théâtre du Grütli, www.grutli.ch
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