Malgré leur présence simultanée à la dernière rencontre du G7 à Hiroshima, les présidents Lula et Zelensky ne se sont pas entretenus. Ce non-rendez-vous est un symbole. Il illustre le clivage croissant entre l’Occident réuni derrière les États-Unis et l’Union européenne, et un nombre grandissant de pays qui voient dans la guerre en Ukraine un moyen de changer les rapports de force économiques et politiques, et d’affirmer la réalité d’un monde multipolaire construit sur d’autres bases que la triade occidentale: État de droit, démocratie libérale et libre marché. Jusqu’à il y a peu, cette triade formait le socle indiscuté de la globalisation économique et de la gouvernance mondiale ancré dans les institutions onusiennes.
Le fait que près de 40 pays – avec, au total, plus de la moitié de la population mondiale – aient refusé de condamner l’invasion russe lors du vote à l’Assemble générale de l’ONU en février 2022 a durablement marqué les esprits. La superposition de nombreuses frustrations longtemps cachées a trouvé ce jour-là un exutoire inattendu. L’avenir dira comment il faut interpréter ce vote: s’agit-il d’un constat de fait accompli de la fragmentation du monde ou bien d’un avertissement, voire d’un coup de semonce, à l’égard de l’Occident? De toute évidence, comme en témoigne le rendez-vous manqué de Hiroshima, la guerre en Ukraine est le révélateur de tensions antérieures sans en être la cause principale.
«12% des cibles sont en bonne voie d’être atteintes, pour 50% d’entre elles, les progrès sont faibles ou insuffisants.»
Le temps est compté pour ressouder le monde et le chemin passe par la case «développement», parent pauvre de l’économie mondiale. Selon le rapport du secrétaire général de l’ONU, présenté il y a quelques jours à peine, plus de 4000 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires par année, d’ici à 2030, pour qu’on ait les chances d’atteindre les Objectifs de développement durable (ODD) adoptés en 2015 en grande pompe par l’ONU et repris par nombre d’acteurs privés comme feuille de route.
Nous sommes donc exactement à mi-chemin entre 2015 et 2030 et, selon Antonio Gutierres, seulement 12% des cibles sont en bonne voie d’être atteintes, pour 50% d’entre elles, les progrès sont faibles ou insuffisants, et pour le reste, soit plus du tiers, des reculs sont à déplorer. Comme par hasard, ces résultats médiocres ont pour conséquence de pénaliser plus de la moitié de la population mondiale. Probablement la même moitié qui est déçue du leadership occidental. «Si nous n’agissons pas maintenant, poursuit Antonio Gutierres, les ODD pourraient devenir l’épitaphe pour un monde tel qu’il aurait pu être.»
Il s’agit de mobiliser les ressources considérables, humaines et financières, pour acheminer vers les pays du Sud près de 5% du PIB mondial supplémentaires tout en les faisant fructifier sur place. Le défi dépasse les possibilités des seules finances publiques; la contribution à l’aide au développement stagne à 0,33% du revenu des pays donateurs, en lieu et place des 0,7% auxquels ils se sont engagés il y a des décennies déjà. Paroles sans suite.
Les canaux privés et publics de transmission de l’impulsion économique et sociale ne sont pas infinis: selon l’ONU, ils sont inopérants. Bref, il n’y a pas de voie royale pour relever le défi des ODD, après plus de soixante ans d’échecs et de promesses non tenues. Face à ce constat d’impuissance, le secrétaire général fait une proposition radicale: il en appelle à un nouveau Bretton Woods (quatre-vingts ans après la conférence de 1944) pour transformer l’architecture économique et monétaire internationale en instrument de paix et d’inclusion. Une remise à niveau d’autant plus urgente que la fragmentation du monde s’accélère avec son lot de risques planétaires. Une telle ambition a besoin d’un soutien des opinions publiques des pays occidentaux. En serons-nous capables?
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
Regard éco – Objectifs de 2030: un constat accablant