Féminisation Nouvelles rues pour des femmes
Ce billet est signé par un blogueur de la plateforme «Les Blogs» en partenariat avec la «Tribune de Genève». Il n’engage pas la Rédaction.

Une nouvelle escouade de femmes est proposée sur les plaques des rues de Genève. Après la confirmation d’une dizaine de noms féminins en mars dernier, la Ville de Genève en remet une couche avec 14 personnalités plus ou moins connues. Plutôt moins que plus d’ailleurs, ce qui est précisément le but du collectif lançant l’initiative.
En cherchant quelques détails sur les personnages choisis, j’ai pris mes renseignements dans l’ouvrage publié par le groupe L’Escouade et un collectif d’historiennes, 100Elles*, pour une féminisation de la mémoire collective genevoise (Georg, 2020).
Pour le lire, il faut s’armer de patience car il adopte les extrêmes de la langue inclusive et des réformes de l’orthographe de 1990. Lorsque j’ai vu elleux, iels, aout, j’ai pensé qu’on avait supprimé les correcteurs et même les correctrices. Mais non, l’adoption du langage épicène autorise ces fantaisies. Et la réforme orthographique est mise en œuvre «pour participer à la lutte contre l’élitisme de la langue française», ainsi que l’annonce "l’Avis aux lecteur.rice.x.s". On explique par ailleurs que «x» est une forme d’écriture incluant les personnes non-cisgenres. Nous voilà prévenus.
Prenons nos dames par ordre chronologique.

L’esplanade Théodelinde, reine burgonde du Ve siècle, remplacera l’esplanade Théodore de Bèze. Cela tombe bien puisque leurs noms se ressemblent et que le réformateur, successeur de Calvin, a déjà une rue, menant au collège Calvin. Théodelinde était l’épouse de Godégisel, roi burgonde installé à Genève et frère ennemi de Gondebaud. À la suite d’une guerre fratricide, elle périt, avec ses enfants, probablement noyée dans le Rhône, un châtiment fréquent à l’époque.
Claudine Levet, prédicatrice protestante au XVIe siècle. Sachant lire, elle s’intéresse à la religion et, convertie, elle organise un groupe d’activistes religieuses chargé de convertir les récalcitrantes. Deux fois veuve, elle finit par épouser un pasteur vaudois, Jean de Tournay. La rue Claudine-Levet remplace la rue de-Grenus, Grenus ayant déjà une place.
Louise de Frotté (1617-1692), femme de lettres, appartient à l’aristocratie protestante genevoise par les Colladon de Frotté et les Mayerne. Élevée en Angleterre par son oncle Théodore Turquet de Mayerne, médecin du roi, dont elle hérite le portrait par Rubens et la recette de l’Eau cordiale, une liqueur en vogue. Veuve et érudite, elle revient à Genève et entretiendra une correspondance fournie avec des personnalités protestantes et des savants de plusieurs pays dont elle parle les langues. Un petit tronçon du boulevard de la Cluse, entre la rue Lombard et le boulevard Helvétique, longeant l’université Bastions-Philosophes, est attribué à la rue Louise-de-Frotté.
Jeanne-Henriette Rath (1773-1856), peintre, connue surtout pour avoir financé la construction du musée Rath grâce à la vente de ses tableaux et l’héritage de son frère Simon. La rue Jeanne-Henriette Rath va longer son musée, remplaçant la rue de Hollande. Il restera une place pour rappeler les bonnes relations avec la Hollande qui avait payé le renforcement des fortifications en 1661. Espérons que ce baptême va redonner vie à un musée en état comateux.
George Eliot (1819-1880), Mary Ann Evans, écrivaine cachée sous un nom masculin. En 1850 elle passe huit mois à Genève et sera accueillie, rue de la Pélisserie, par un couple de peintres, Julie et François d’Albert-Durade avec qui elle restera liée. Il devint son principal traducteur en français. Romancière, journaliste, éditrice, elle vit une liaison scandaleuse avec un homme marié et, après la mort de celui-ci, épousera un ami plus jeune de vingt ans, mariage qui dura peu: elle succombera l’année suivante. Ses romans les plus connus sont The Mill on the Floss et Middlemarch. La rue George-Eliot remplacera la rue de Jargonnant, laissant encore une place de Jargonnant.
Henriette Saloz-Joudra (Vitebsk, 1855 - Genève 1928), médecin qui fit ses études à Genève où l’on acceptait des étudiantes. Elle épouse un collègue, Charles-Eugène Saloz, avec qui elle ouvre un cabinet médical où elle reçoit une nombreuse clientèle, principalement de femmes et d’enfants. Mais elle ne sera pas admise à la Société médicale de Genève qui n’est ouverte qu’aux hommes. On pourra désormais emprunter le passage Henriette-Saloz-Joudra au lieu du passage Champel-Hôpital, le tunnel créé récemment par l’ouverture du CEVA.
Cécile Biéler-Butticaz (1884-1966), première femme ingénieure électricienne de Suisse, également professeure de mathématiques et docteure ès sciences physiques de l’Université de Genève. Elle participe avec son mari Alfred Biéler aux chantiers du Loetschberg et du Simplon et fonde l’école réformée protestante de Brigue pendant les travaux du Simplon. Ce qui explique pourquoi la rue Cécile-Biéler-Butticaz remplacera la rue du Simplon. Les Valaisans s’en offusqueront-ils?
Kitty Ponse (Sumatra 1897 - Genève 1982), biologiste et professeure d’endocrinologie à Genève dont les recherches sur la génétique et l’endocrinologie l’ont souvent conduite aux États-Unis. Elle fonde avec Émile Guyénot la Station de zoologie expérimentale. La rue Kitty-Ponse remplacera la rue de l’Université, à côté de la place de l’Université.
Elise Cabossel (Rennes 1900 – Genève, 1892), syndicaliste qui, avec un diplôme de sténotypiste parlementaire, devient la secrétaire de Léon Jouhaux à la CGT et participera à de nombreux congrès. Pendant la guerre, résistante, elle est arrêtée mais réussit à s’enfuir. Après la guerre, et plusieurs emplois de secrétaire, elle obtient en 1958 un poste dans la division sur la liberté syndicale au BIT, s’installe à Genève et occupera pendant 16 ans des contrats de courte durée, au-delà de l’âge de la retraite. Le chemin Elise-Cabossel supprimera le chemin Galiffe, nom d’une famille bourgeoise de Genève depuis le XVe siècle ayant donné des juges, des professeurs et des historiens, parmi lesquels l’auteur de l’Armorial genevois dont Élise Cabossel devait sûrement ignorer l’existence, sinon s’en moquer.
Julia Chamorel (1916-2009), écrivaine. Lors de ses études de droit et de littérature, elle s’inscrit au parti communiste qu’elle quitte rapidement, mais qu’elle décrira dans La Cellule des écoliers (L’Âge d’homme, 1983). Avec son mari peintre Xavier Bueno, elle passe la guerre à Florence, sujet de son premier roman, Les Compagnons d’Hannelore (Seuil, 1957). Elle ne retournera à la politique et au socialisme qu’en 1968. La rue Julia-Chamorel remplacera la rue du Midi. Mais le midi n’est pas perdu puisqu’il y a encore une ruelle du Midi.
Annie Jiagge (Lomé, Togo 1918 – Accra, Ghana 1996), magistrate et défenseuse des droits des femmes, elle débute par l’enseignement dans une école presbytérienne au Ghana, puis se rend à Londres où elle obtient un diplôme en droit et s’associe à l’Union chrétienne des jeunes filles (YWCA) dans laquelle elle occupera plusieurs postes. De retour en Afrique, elle devient la première femme juge ghanéenne et sera nommée représentante du Ghana à la commission de l’ONU sur le statut des femmes. Elle occupe aussi plusieurs fonctions auprès du Conseil œcuménique des Églises à Genève, notamment dans sa lutte contre le racisme. Le chemin Annie-Jiagge remplacera le chemin Colladon (propriétaire du lieu au XIXe siècle), au Petit-Saconnex, proche du Conseil œcuménique.
Marcelle de Kenzac (1919-2009), née Marcelle Kauffmann, avait de multiples dons artistiques: tour à tour pianiste, poétesse, comédienne, metteuse en scène et éditrice. C’est en voulant publier ses poèmes qu’elle rencontre l’éditeur Paul-Fabien Gentil, qu’elle finira par épouser et dont elle poursuivra la tâche. Elle mettra en scène de nombreuses pièces au Théâtre de Poche qu’il avait fondé. Atteinte dans sa santé, elle se donnera la mort avec l’aide d’Exit. Désormais, en allant au Théâtre de Poche, on pensera à elle puisque l’adresse du théâtre sera la rue Marcelle-de-Kenzac au lieu de la rue du Cheval-Blanc. Cette nouvelle proposition remplace la précédente qui avait voulu lui offrir la place du Cirque, proche du Cimetière des Rois où elle repose. Genève garde donc le Cirque mais perd le Cheval blanc.
Marie-Claude Leburgue (Paris, 1928 – Lausanne, 1999), journaliste, principalement à la Radio romande. Après une école catholique à Paris, elle vient à Genève pour obtenir une licence en psychologie. Parallèlement, elle débute à la radio avec des reportages avant de prendre des postes de direction. Elle s’implique aussi dans la presse écrite, s’engageant pour la cause des femmes et le suffrage féminin. Elle assume ouvertement sa relation avec une consœur, Véra Florence, au nom de la liberté individuelle. Il est tout indiqué d’avoir choisi le passage de la Radio pour en faire le passage Marie-Claude-Leburgue.
Grisélidis Réal (Lausanne, 1929 – Genève, 2005), peintre, écrivaine, prostituée. Passe son enfance en Égypte et en Grèce. Après le décès de son père helléniste, s’entendant mal avec sa mère, elle vit en pension à Zurich et obtient un diplôme de décoratrice. S’installe à Genève, se marie, divorce, donne le jour à quatre enfants qui lui seront retirés, faute de pouvoir subvenir à leurs besoins. Peint, pose comme modèle, passe quelques années en Allemagne, se prostitue, fait de la prison pour trafic de drogue, publie journal et roman, fonde l’association Aspasie, pour soutenir les droits des travailleuses du sexe et se définit comme «courtisane révolutionnaire». Malgré des oppositions, on lui accorde une sépulture au cimetière des Rois. Une précédente proposition de rue (à la rue du poète Jean Violette) avait été rejetée. Celle qui céderait à la rue Grisélidis-Réal une portion de la rue de Zurich, dans le quartier des Pâquis, devrait convenir.
Cette liste n’est qu’une proposition, mais elle semble suffisamment argumentée pour passer la rampe.
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