Nelson Goerner, une quête par le piano
Profond et raffiné, l'artiste est en concert ce soir au Victoria Hall. Rencontre.

On quitte sa demeure de Cologny avec quelques images fortes, qui irriguent longtemps l'iris. La vue époustouflante qu'offrent les lieux au visiteur, mais surtout le sourire et le regard solaire de l'hôte, le pianiste Nelson Goerner; l'apaisement et le souci de précision qui semblent accompagner chacun de ses propos. Le pianiste argentin est aujourd'hui une figure célébrée et respectée dans le paysage classique. La profondeur et le raffinement de ses interprétations – dans un territoire de prédilection essentiellement romantique – sont salués partout et font l'unanimité. À cette grâce musicale s'ajoutent une modestie et une discrétion qui placent l'artiste dans une case à part. Nous l'avons rencontré à quelques jours d'un concert attendu au Victoria Hall, ce mercredi 17 janvier, où il s'attellera au Concerto pour piano en sol majeurde Ravel, aux côtés de l'Orchestre de la Suisse romande et de son chef, Jonathan Nott.
Comment replongez-vous dans les partitions du «Concerto pour piano» de Ravel? Réservent-elles encore des surprises?
Oui, comme toujours pour le répertoire que j'aborde. Je crois qu'il n'y a pas plus essentiel, pour un interprète, que d'être réenchanté par une œuvre. Cette pièce, je l'ai jouée au moins soixante fois. La prochaine, ce ne doit pas être la soixante et unième; j'essaie donc de retrouver les premières impressions, la façon qu'elle a eue de me parler lorsque je l'ai découverte. Sans quoi, on risque de tomber dans le piège de l'autocitation, de la copie de soi-même.
Vous retrouverez mercredi le Victoria Hall, salle que vous connaissez par cœur. Avez-vous un souvenir précis de la première fois où vous avez foulé cette scène?
Oui, je m'en souviens parfaitement: c'était pour ma virtuosité. J'ai joué le Quatrième concerto de Beethoven avec l'OSR. Évidemment que cette salle fait résonner en moi des souvenirs puissants, liés à mes premiers concerts. J'ai toujours le trac en y entrant. Je le ressens davantage qu'ailleurs parce que ces lieux sont devenus emblématiques de ma vie. Au Victoria Hall, je sens une responsabilité.
Au mois de mai prochain, vous allez jouer dans une salle mythique, que vous connaissez depuis votre enfance: le Teatro Colón de Buenos Aires. Qu'est-ce que cela vous fait d'y retourner?
J'y ai joué pour la première fois en 1986. J'avais 17 ans à l'époque. J'y suis retourné régulièrement et je trouve toujours que cette scène en impose. C'est une grande salle qui donne pourtant l'impression d'une belle intimité avec le public. Elle permet les nuances les plus fines qui soient. On doit cette sensation à son acoustique miraculeuse. Cela m'a fait énormément plaisir de lire récemment que le ténor allemand Jonas Kaufmann y avait trouvé, dit-il, la meilleure acoustique du monde. Bon, le chef Wilhelm Furtwängler l'avait relevé bien avant lui… (rires).
Votre vocation musicale s'est révélée en Argentine, suivie de votre première formation. Quel genre de souvenirs surgit en vous lorsque vous y retournez?
Il y a beaucoup d'images de mon enfance, liées surtout à mes premiers professeurs. J'ai eu des rapports très forts avec chacun d'entre eux, avec Jorge Garruba, Carmen Scalcione et d'autres encore. J'ai débuté tout petit à San Pedro, avec les cours de notre voisine. Ces gens sont tous disparus, hélas, mais là-bas je sens fortement leur présence.
Est-ce que votre manière de travailler est une synthèse de tous les enseignements reçus par ces pédagogues?
Oui, en quelque sorte. Mais il y a aussi la recherche personnelle. Disons que les pédagogues ont préparé un chemin. Après quoi, il a fallu l'emprunter avec ses propres jambes, en cumulant les expériences et les erreurs. Je me suis mis ainsi à approcher les œuvres sans besoin d'un tuteur, ce qui est un pas décisif dans l'évolution d'un artiste. Que cherchez-vous en premier lorsque vous abordez une nouvelle partition? L'esprit de la lettre, autrement dit la manière qu'a la partition de me parler. C'est par là que le travail de recherche personnelle débute.
Cette quête se nourrit-elle aussi d'autres formes d'art?
Tout m'aide à avancer, quand je lis un poème ou un roman par exemple; ou quand je regarde le beau paysage qui m'entoure. Un artiste ne doit pas être nécessairement recroquevillé sur lui-même.
Récemment, vous avez publié l'intégrale des «Nocturnes» de Chopin. Qu'est-ce qui vous a poussé à plonger dans ce corpus aux couleurs si changeantes?
Chacun de ces Nocturnes me parle depuis si longtemps… Un des premiers disques que j'ai écoutés était précisément celui des Nocturnes joués par Rubinstein. Je porte en moi ces pièces depuis mon enfance et j'ai eu envie de me les réapproprier, en quelque sorte, en les enregistrant.
Comment travaillez-vous les prises en studio?
J'essaie de faire de longues prises de manière à refléter au mieux le sens d'une œuvre. Je préfère cette démarche à celle qui consiste à aligner des bouts parfaits. On finit toujours par entendre ce qui a été excessivement retravaillé. Les assemblages ne servent ni l'interprétation ni la narration. C'est ainsi que je m'épuise aux séances, parce que je préfère jouer beaucoup et cumuler les prises.
Combien d'heures par jour passez-vous au piano?
Je me sens bien avec moi-même lorsque j'y consacre en moyenne quatre heures par jour. Ce temps sert à garder l'appareil physique en état pour qu'il puisse répondre au mieux à mes intentions.
Est-ce que les œuvres viennent à vous ou, au contraire, partez-vous à leur chasse?
Elles viennent à moi et je crois beaucoup en cela. Pendant longtemps, par exemple, je n'ai pas joué Bach en concert parce que je me disais que ce n'était pas le moment. Je savais que j'étais dans le vrai. Je pense qu'il faut se faire confiance et sentir quand le moment de plonger dans une œuvre ou un compositeur est arrivé. Il ne faut pas laisser filer ses instants d'intuition.
OSR, Jonathan Nott (dir.) et Nelson Goerner (piano). En concert au Victoria Hall, me 17 jan, 20 h. Rens. www.osr.ch
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