Théâtre«Miss None» ou l’éclipse du moi
Le Grütli présente le second volet du Projet Léger lancé l’an dernier, une quête passionnante sur l’art de l’effacement.

Le Projet Léger mené conjointement par l’éclairagiste Jonas Bühler, la metteuse en scène Manon Krüttli, la comédienne Céline Nidegger et la photographe Dorothée Thébert s’était joliment amorcé en septembre 2020 par le biais d’une «Généalogie Léger» dévoilée pendant La Bâtie au Théâtre du Grütli. Il se développe ces jours-ci sur le même plateau, avec une «Miss None» à son tour éprise d’évanescence, de porosité et de contours flous.

La distribution s’est étoffée entre-temps de trois comédiennes additionnelles (formidables Lucie Zelger, Nora Steinig et Aline Papin – ah Aline Papin), toutes costumées et perruquées à l’identique, de sorte à évoquer aussi bien l’Américaine Gena Rowlands que la Française Nicole Garcia, ainsi que toute autre silhouette blonde ayant hanté le cinéma de la seconde moitié du XXe siècle. Car à travers une figure féminine ainsi démultipliée, c’est sur les traces d’un certain Ariel Winthrop que s’est lancé le dramaturge Guillaume Poix, à qui le texte a été commandé. Ariel Winthrop, ce figurant légendaire de Hollywood qui comptabilise 117 «gestes», de 37 secondes maximum, dans les films de Scorsese, Cassavetes, Woody Allen, Coppola et tant d’autres. Plus de 100 apparitions remarquables, donc, suivies d’autant de disparitions savourées par le sage.

L’homme ayant également laissé un unique long métrage à la postérité, avant de s’éclipser définitivement dès 1999, c’est à partir des décombres de ce «Man Off-Season», de son éparpillement, de son émiettement érigé en principe philosophique qu’investigue presque deux heures durant notre équipe d’enquêteurs. En chemin, elle se choisit pour emblème un personnage marginal du film testament, cette Demoiselle à qui Winthrop, son père, apprend à n’être Personne.
On pourra reprocher à la recherche sa tendance à l’incontinence verbale, au gré d’anecdotes livrées en cascade, comme si la parole servait de boussole à la déperdition de soi. Mais à l’heure où les questions identitaires catalysent tant de débats véhéments, il fait bon assister au mitage d’une individualité devenue tyrannique. Moins pour prêcher la modestie que pour rappeler la discontinuité essentielle du «je».
«Miss None» Jusqu’au 14 nov. au Théâtre du Grütli, www.grutli.ch
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