Sorties livres, albums, BDMichel Tremblay n’a pas l’oreille parfaite mais en sourit
Pas de mémoire qui flanche avec le dramaturge québécois sur ses émotions en concert, avec Peter Sìs qui redécouvre le «Schindler british», ou Patricia Cornwell qui retrouve Scarpetta…
«Nicky & Vera», le plus bel album de l’été

Une merveille d’album sur une horreur de guerre… «Nicky & Vera» rend justice à Nicholas Winton, un jeune Anglais qui, en 1938, aida à Prague les réfugiés entassés face à la menace nazie. Cet aventurier des temps modernes sauva près de 700 enfants. La postérité n’a guère retenu cette action, tant son auteur témoigna d’une réserve naturelle. Le Tchèque Peter Sís le salue, mais, au-delà d’une reconnaissance évidemment méritée, livre un objet d’une rare délicatesse.

Car c’est aussi à la jeunesse que l’auteur dédie ce livre illustré, en souvenir des enfants d’autrefois pris dans le tumulte. Peintre, cinéaste, écrivain, cet artiste tchèque installé à New York use de tous ses dons pour vivifier l’odyssée de Nicky, la rendre moderne et accessible, sans tomber dans la mièvrerie apitoyée ni les trucages racoleurs.

Son découpage époustoufle par ses audaces. Qu’il procède par double page crâneuse ou opposition classique texte et image, le conteur s’obstine à injecter une texture organique à la narration. Les rêves prennent forme dans la tête des gens? Alors il les dessine dans les crânes. La lenteur d’un convoi ferroviaire, son inexorable longueur, se matérialisent ainsi dans une pleine page obsédante et claquent à la figure. Et ainsi de suite sans jamais donner dans le train-train ni grincer trop dans la dramaturgie.
La modestie de Nicholas Winton, ici suivi jusque dans son grand âge paisible, n’en devient que plus majestueuse et précieuse, caractéristique d’un vrai seigneur rayonnant d’une humanité discrète sur la pagaille du monde. Un must.
«Nicky & Vera»
Peter Sís
Éd. Grasset, 72 p. Dès 6 ans.
Michel Tremblay au concert, de Montserrat Caballé à Céline Dion

Le Québécois Michel Tremblay enchante en contant ses émotions musicales. Loin de dissertations pompeuses, le malicieux octogénaire orchestre des mélodrames intimes de rires en sanglots. Et son autodérision touche souvent par sa justesse. Anecdotique mais pourtant universel, le dramaturge et romancier sait mettre en scène ses souvenirs. Ici, des «Offrandes musicales».
Depuis quelques années, ce créateur de plus de 3000 personnages imaginaires s’est attelé à ses Mémoires, mais lui qui a tant vécu les exécute avec originalité, créant des listes et compartiments. C’est à la fois érudit et léger, comme des papillonnages échangés sur le mode de la conversation savante et amicale. Sur le plan musical, les dissonances alternent avec l’harmonie. Du génie au couac, il n’y a qu’un pas.
«Mais c’est la plus grosse femme en ville!»
Le voir épingler sa propre mauvaise foi quand en 1975, intello en vue, l’homme de scène décrète à ses amis que Barbara, «avec ses airs de vampire en vacances» singe le malheur en crachant ses tics. Et puis céder face à la performance de la dame en noir. Ou l’entendre raconter comment il se vit obligé de devoir quitter le Met à New York en 1970, pris de gloussements nerveux alors que durant tout un opéra, Plácido Domingo feint de ne pas reconnaître la voluptueuse Montserrat Caballé tout enrubannée de voiles telle une monstrueuse et vaporeuse éléphante au «Bal Masqué» – «Mais c’est la plus grosse femme en ville!»

Il y a aussi les épiphanies, comme Céline Dion à Las Vegas, quand les fans de la chanteuse sabotent son spectacle tant ils l’interrompent par leurs applaudissements. Tant de bravos que la star s’en trouve effacée, recalée au deuxième plan d’une ovation qui l’écrase et détruit jusqu’à sa présence vocale. Un comble… CLE
«Offrandes musicales»
Michel Tremblay
Éd. Actes sud, 166 p.
Patricia Cornwell déterre Scarpetta

Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis. Contrairement à son annonce en 2015, l’Américaine Patricia Cornwell n’entend pas voir Kay Scarpetta prendre sa retraite et publie «Autopsie». Pour mémoire, son héroïne et alter ego, analyste et médecin légiste comme l’auteur, a vieilli en osmose avec sa créatrice, 65 ans.
Emblématique d’un pan entier de la littérature policière et tirée à plus de 100 millions d’exemplaires, la saga de Kay est née en 1990, surfant sur les technologies de pointe avec une vista aiguisée par la fréquentation des scientifiques les plus en vue aux États-Unis. Et dans ce 25e épisode, ça ne manque pas. Si l’affaire démarre par un cadavre égorgé près d’une voie ferrée en Virginie, elle se connecte aussi avec un laboratoire spatial. Grâce à une liaison avec la station, une autre autopsie se pratiquera à distance…
La Maison-Blanche est bien sûr tenue au courant mais cette alternance entre les «happy few» et le commun des mortels contribue à restituer une crédibilité qui tendait à s’évaporer chez Cornwell. De plus, comme toujours dans ce techno-thriller qui rappelle les romans visionnaires de Michael Crichton dans son efficacité, Patricia Cornwell soigne la dimension humaine. L’écrivaine, une des premières à sortir du placard une héroïne aux aspirations saphiques – la nièce de Kay – sait glisser en douce de petites observations sur les relations sociales sans asséner de messages lourdingues.

Observatrice finaude de l’Amérique sous la haute surveillance des réseaux sociaux, des dérives de l’administration Donald Trump, de l’émergence du wokisme et autres mouvements extrémistes, Patricia Cornwell revient à ses premières amours en calmant le jeu parfois trop «branché» de ses derniers romans. Son héroïne astronaute dure à cuire n’emballait qu’avec modération.
Autre bonne nouvelle, à 65 ans, celle qui ne semble pas pouvoir prendre une ride s’est associée avec la star de proximité Jamie Lee Curtis pour adapter en série les enquêtes de Kay Scarpetta. À suivre, donc, même si on ne l’attendait plus!
«Autopsie»
Patricia Cornwell
Éd. J.-C. Lattès, 361 p.
Les macchabées jouent à cache-cache

Que s’est-il passé à l’été 2000 sur l’île de Bréhat, à quelques encablures de la Bretagne? Un môme a disparu, et vingt ans plus tard, la mort revient rôder sur ce coin de terre paradisiaque. Des cadavres apparaissent, puis disparaissent. Les macchabées joueraient-ils à cache-cache avec la bénédiction de l’Ankou, cette figure spectrale de la mythologie bretonne?
Il en faudrait davantage pour émouvoir la commissaire dépêchée sur place pour élucider cette affaire entourée de superstitions et de légendes. Adeptes des ambiances insulaires - ils ont signé précédemment trois albums situés à Ouessant, Belle-Ile-en-Mer et Sein -, le scénariste Patrick Weber et le dessinateur Nicoby signent un polar BD qui fleure bon le parfum d’Agatha Christie.

Récit tenu et trait vif. Une réussite à la conclusion inattendue.
«Cache-cache mortel à Bréhat»
Weber et Nicoby
Ed. Vents d’Ouest, 136 p.
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