Michel Bussi relit Agatha Christie aux Marquises
Le roi normand du twist policier prend le large en Polynésie. «Au soleil redouté», ça tape fort.

À ses débuts, Michel Bussi se plongea dans les jardins de Monet à Giverny. Après quelques romans restés confidentiels, «Nymphéas noirs», en 2011, sacrait un styliste redoutable. Peu après, le quadra, prof de géo à l'Université de Rouen et chercheur au CRNS, pouvait abandonner ses étudiants pour se vouer à l'écriture. Quelques best-sellers plus tard, dont plusieurs adaptés pour la télévision, le Normand, 54 ans, talonne Guillaume Musso dans le classement des ventes.
«Au soleil redouté» ne miroite pas en tableau impressionniste même si les fleurs de tiare aveuglent autant que le chatoiement des nénuphars. Direction les Marquises, l'île d'Hiva Oa hantée jadis par Gauguin. Un quintet de lectrices, l'une flanquée d'un amant policier, l'autre d'une ado rebelle, participe à un atelier d'écriture dirigé par leur auteur favori. De la truculente lectrice belge à la mondaine mûrissante, les plumes s'aiguisent, les fantasmes se couchent sur le papier. Et découchent aussi. Bientôt les exotiques jeux de séduction prennent un parfum dangereux. Les groupies voient leur idole s'évanouir dans la nature luxuriante, les tikis parlent. Et les cadavres sortent des placards des bungalows, façon «Dix petits nègres».
Avez-vous vu venir vos obsessions, huis clos, quête identitaire, etc., même au bout du monde?
Avec l'expérience, je sais que ces figures arrivent sans que je les cherche. Du coup, je bâtis des structures désincarnées, presque comme un exercice de style, j'entasse des équations neutres. Ensuite, dès que je construis mes personnages, même si ces thèmes reviennent, je m'accroche à mon plan fondateur.
On dirait une bouée salvatrice?
Je l'admets, j'aurais peur de dériver. Car les passages qui m'émeuvent le plus quand je les imagine à ma table, traitent de la vie ratée, du questionnement des choix assumés ou pas, de la filiation paternelle, etc. Mais si je n'avais fait que ressasser ça en permanence, il aurait alors mieux valu de tout liquider en un roman!
Toujours innover, même en polar?
Agatha Christie m'a inspiré jadis, et si je trouve que nombre de contemporains lui sont supérieurs sur la sophistication des intrigues, sous son style désuet, elle a tout inventé. De là, des milliers de polars ont été publiés. L'inédit me semble impossible, reste la complexité.
D'où vient le concept d'«Au soleil redouté»?
Je voulais retrouver un lien fort avec un territoire, de préférence une île paradisiaque, du type de La Réunion où j'avais situé «Ne lâche pas ma main». La relation ancrée de l'écriture à un paysage crée un cocon plaisant. J'ignorais tout des Marquises, sauf le lien avec Jacques Brel. Et de là, voyant que la chanson française pouvait se glisser dans le roman, l'évidence s'est confirmée.
Y êtes-vous allé?
Bien sûr. Mais je me suis surtout documenté en cliquant. J'ai vu surgir une richesse propre aux Marquisiens, différente des autres Polynésiens, la dimension romanesque et tragique de leur ethnocide déjà, une fierté commune aux Cheyennes, aux Incas, aux Pascuans. Avec cet héritage mystérieux, sanguinaire et raffiné, qui ne se résume pas à Gauguin ou à Brel. D'ailleurs, si les locaux saluent leur justesse le plus souvent, ils détestent la formule «les femmes sont lascives au soleil redouté». Leurs vahinés sont des costaudes qui bossent, des femmes qui tiennent la baraque.
Quel était le défi principal?
Gérer ce chœur de suspects, glisser des indices sans en donner trop. Ma hantise, c'était d'étirer le temps alors qu'un twist fonctionne toujours mieux s'il claque en quelques lignes immédiates, que le cerveau bascule. J'aime quand le livre tombe littéralement des mains du lecteur sidéré.
Vous vous moquez des vendeurs de best-sellers. Autodérision?
Je ne pense pas être idolâtré, c'est mon écriture qui est appréciée. C'est la grande différence avec un chanteur ou un acteur. L'écrivain ne se met pas en scène. Assez rarement trouverez-vous des posters d'écrivains au-dessus du lit d'un ado.
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