
Que doit faire la Confédération? Depuis des décennies, la Confédération n’agit que de manière subsidiaire; laissant au marché (aux éditeurs privés) les mains libres. Berne n’intervient qu’indirectement, en confiant à La Poste la mission de distribuer à perte les journaux, moyennant une subvention de 50 millions de francs. À l’inverse, la Confédération accorde à la télévision et à la radio une rente à vie, sous forme d’une redevance, devenue un impôt à hauteur de… 1,2 milliard de francs, qui grimpe avec l’augmentation de la population et du nombre de contribuables assujettis (entreprises).
Ces dualité et inégalité dans la politique des médias n’ont jamais été contestées tant que les médias se portaient bien (naïveté des éditeurs) et qu’une différence claire pouvait être faite entre l’écrit et l’audiovisuel. Or, depuis l’arrivée d’internet, tout a changé. Les médias écrits sont sur le déclin (baisse du tirage, de la publicité) et peinent à percer dans l’offre numérique (seuls 18% des lecteurs se disent prêts à payer pour de l’information). Certes, les médias privés progressent sur le numérique mais leurs revenus dépendent encore largement des éditions papiers et de la publicité classique décroissante. Sans une augmentation rapide de l’aide indirecte, certaines publications pourraient devoir fermer, étranglées par la hausse du prix du papier et des coûts de distribution. Des motions demandent au Conseil fédéral d’agir rapidement après le refus par le peuple, en février 2022, d’une extension de l’aide à la presse. On comprend que cette aide indirecte, aussi nécessaire qu’utile, via La Poste, vise l’urgence à court terme.
Dans un rapport daté du 10 janvier 2023, la Commission fédérale des médias (COFEM) admet (enfin) qu’Internet exige de repenser de manière fondamentale l’aide aux médias, en ne se basant plus sur la nature des vecteurs de l’information mais sur l’essentiel: le contenu. Le rapport, curieusement, épargne la SSR dont l’offre rendue gratuite par l’impôt concurrence les contenus payants des médias privés. Qui se retrouvent à vouloir faire payer la bière au bar du coin alors que le bar SSR d’à côté l’offre sans bourse délier! Cette distorsion de marché viole toutes les règles éthiques de l’économie et limite l’espace naturel des éditeurs privés, comme l’explique une étude récente d’Avenir Suisse.
Soyons francs. Si l’État estime que l’information est un bien commun méritant d’être soutenu, il doit définir ce qu’il entend par «service public». Et mettre aux enchères les prestations désirées, comme il le fait dans quasi tous les domaines. Peu importe que les prestataires soient des acteurs privés ou publics. Ce qui compte, c’est l’existence des contenus et une saine émulation. Le pilotage pourrait être confié à une fondation; la SSR devenant un producteur parmi d’autres acteurs privés. On en parlera bientôt lors de la votation sur l’initiative qui veut limiter la redevance de la SSR à 200 francs. Cette mesure aurait le mérite de casser la position économique dominante de la SSR mais n’apporte aucune réponse au véritable enjeu démocratique. À savoir: quelles sont les informations jugées indispensables et critiques qu’un État doit financer autrement que par le marché? Ne le fait-il pas déjà pour la recherche ou la culture, pour ne citer que ces deux domaines?
Ce débat, si important dans un monde submergé par les news fallacieuses, est urgent. Mais au rythme de Berne, il prendra encore des décennies. Voilà pourquoi les éditeurs ont accueilli froidement le rapport de la COFEM, craignant sans doute qu’un changement de paradigme aussi fondamental ne serve de prétexte pour repousser encore une fois une augmentation de l’aide indirecte à la presse.
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La chronique économique – Médias: l’urgent et la refonte nécessaire
Pour la première fois, la commission des médias remet en cause le modèle d’aide indirecte à la presse. Quel est l’enjeu?