L’intention est bonne, l’objectif aussi: adapter l’aide actuelle aux médias à l’ère du digital en finançant le contenu journalistique plutôt qu’en offrant aux médias traditionnels des rabais postaux sur la distribution de journaux papiers et autres abattements fiscaux. Telles sont très résumées les propositions de la Commission fédérale des médias présentées mardi face à la presse. Une réaffirmation bienvenue de la nécessité d’un soutien public à des médias professionnels considérés comme garants du bon du fonctionnement de la démocratie. Cette fois, il ne s’agit pas d’augmenter l’aide mais bien de la transformer.
Une petite révolution du concept même d’aide à la presse qui a traversé les âges, en particulier celui de l’avènement d’internet, sans bouger d’un pixel. Comment ne pas s’en réjouir… et se pincer très fort en prenant note de la réaction de l’Association des éditeurs alémaniques (VSM) qui s’oppose à la suppression de l’aide à la distribution des journaux, «un instrument qui a fait ses preuves depuis 150 ans». Oui, depuis 150 ans, c’est justement le problème!
Voilà donc pour le côté bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que la proposition de la Commission fédérale des médias (Cofem), organe extraparlementaire qui sert à nourrir la réflexion des autorités, ajoute au chaos et présente quelques défauts majeurs de conception. Elle est volontairement floue pour ne pas déclencher tout de suite la contre-révolution. La Cofem ne précise ni les montants d’aide concernés ni la méthode d’affectation des fonds. À quels médias, sur quels critères? Terrain miné. Le «projet» se veut médiatiquement «neutre» au nom de la convergence, un concept qui date de la fin des années 90 voulant que radio, TV et presse écrite sont désormais en concurrence frontale sur leurs plateformes numériques. Certes, ils font tous de l’information mais pas au même prix selon qu’ils priorisent vidéo ou texte, par exemple. Par ailleurs, les principaux médias professionnels seront-ils aidés à la même sauce qu’un Youtubeur ou un journaliste sur Facebook produisant à faibles coûts et qualité?
«La proposition de la Cofem est volontairement floue»
Seul critère clair, le contenu doit être «tout public». Premier dommage: cela exclut les pure players de niche (Sciences, mobilité…) concentrant leurs petits moyens sur des domaines spécialisés. En revanche, cette approche favorise le soutien aux médias et journalistes de locale, voire microlocale tout public. À l’heure de la sacralisation du concept de proximité, l’idée paraît séduisante. Faussement, car elle se traduirait par une politique de l’arrosoir du champ local impliquant une dilution des moyens. Financer 20 ou 30 acteurs à Genève, tous canaux confondus, se ferait forcément aux dépens de la profondeur et donc de l’enquête. La recette promet un bouillon aussi insipide qu’inconsistant. Les chiens de garde de la démocratie, rôle donné aux médias, ressembleraient davantage à une petite meute de yorkshires jappants aux crocs limés.
La presse régionale et nationale y perdrait aussi des plumes et des postes, au moins à moyen terme. Même si elle prétend souvent, pour des questions de marketing, que ses plateformes digitales sont de plus en plus florissantes, ce sont bien les annonceurs et lecteurs de la presse papier qui financent encore le digital. Si tel n’était pas le cas, ils auraient déjà abandonné la très coûteuse production de l’imprimé. Sans aide à la diffusion, ils pourraient être contraints d’envoyer à la ferraille un peu plus tôt que prévu leurs centres d’impression avec le train d’économies qui va avec.
Très vertueux sur le papier, le plan de la Cofem risque d’ouvrir une guerre de cent ans tandis que les médias se disloquent ou se concentrent à grande vitesse. «Il y a urgence», avertit la commission emmêlée dans ses propres contradictions. Juste! Jeudi, c’était au tour de L’illustré de fusionner avec TV8.
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Chronique – Médias: chiens de garde ou yorkshires jappants?