Théâtre Le Crève-CœurMaria Mettral et Christian Gregori se font une scène en public
Concubins à la ville, les comédiens genevois réactivent le «Couple ouvert à deux battants» charpenté en 1974 par les époux Dario Fo et Franca Rame. Piquant!

La situation est cocasse. Sur la petite scène colognote qu’Aline Gampert a héritée de ses parents Bénédict Gampert et Anne Vaucher, on assiste à une comédie signée par le couple emblématique du théâtre italien Dario Fo-Franca Rame, qui met en scène deux acteurs genevois unis à la ville depuis trente-trois ans, Maria Mettral et Christian Gregori. C’est dire si ce «Couple ouvert à deux battants» enchâsse les binômes amoureux – et avec eux les querelles tonitruantes auxquelles, en artistes de la scène, ils se sont nul doute livrés.
«Quand le mâle affirme et que la femme conteste, on peut dire que c’est du vécu!»
Sur le plateau du Crève-Cœur, ça y va fort. Le chaud lapin Mambretti (Christian Gregori façon Aldo Maccione intello) vient de proposer à sa femme, Antonia (une Maria Mettral à la volubilité toute latine), de pratiquer l’amour libre. À chaque nouvelle liaison de l’infidèle, elle se tord de douleur: les tentatives de suicide s’enchaînent presque au même rythme que les cris et les scènes de ménage. Jusqu’au jour où la cocue, frustrée comme il se doit, applique à son tour le commutatif principe et s’éprend d’un physicien antinucléaire du CERN. Le rapport de force bascule alors, causant au mari des crises d’aérophagie nerveuse telles qu’il menace de s’électrocuter sur le mode Claude François.
Vaudeville détourné
L’argument paraît éculé: il n’en est rien. Détournant les codes du vaudeville classique, les inénarrables bateleurs Dario Fo et Franca Rame transposent sur les tréteaux une expérience dont ils ont eux-mêmes tâté dans la mouvance de Mai 68. Et en profitent pour passer leurs messages tant politiques (foin du patriarcat et du mariage bourgeois!) que dramaturgiques. En transgressant copieusement la ligne symbolique qui sépare la fiction de l’adresse au public, en chargeant Antonia, à la faveur d’un long et partial monologue, de narrer la déconvenue conjugale, ils prennent à tout moment les spectateurs à partie.
Ceux-ci sont ainsi invités à s’approprier le débat sur les thèmes de la monogamie, de l’union libre ou de l’égalité entre les genres – mais plus tard, chez soi, dans l’alcôve. Pour l’instant, la mise en scène d’Antony Mettler (des années de Revue au compteur) ne lésine sur aucun bruitage, aucune citation musicale ni aucune exubérance de jeu pour propager le rire dans les gradins. Et l’on s’amuse, en effet, largement parce qu’on amalgame à la pièce la relation intime de ses interprètes – dont notre Madame Météo romande.
Rôles exutoires? Spectacle défouloir? «Nous nourrissons évidemment les personnages de ce que nous sommes. Quand le mâle affirme et que la femme conteste, on peut dire que c’est du vécu!» atteste Maria Mettral au téléphone, précisant aussitôt qu’«à la maison, on se comprend très bien» («Je suis gentil!» entend-on plaider Christian Gregori en arrière-fond).
Le tandem qu’ils forment ne s’était jusque-là donné la réplique que deux fois, sur un Strindberg il y a dix ans et en 2017, au Crève-Cœur déjà, dans «La valse du hasard» de Victor Haïm. L’expérience ayant été couronnée de succès, les comédiens ont décidé d’embrayer avec ce «Couple ouvert à deux battants» «hypermoderne» dans son féminisme, «funambulesque» dans son exigence, et trop rarement joué dans nos contrées. Pour cause de Covid, le projet a pris un an de retard.

Il permet aujourd’hui à celle qui est née Maria Giuglietti de laisser libre cours surtout à une truculence «à 100% italienne». «Christian répète que je suis la tarée du couple: pour une fois, ça se voit, je peux montrer ma folie!» sourit l’actrice, ravie de dédier sa sincérité à un spectacle qui «insiste moins sur l’antagonisme entre hommes et femmes que sur la perception différente que nous avons des événements vécus au sein du couple». La quête amoureuse d’un terrain d’entente, bref, menée avec ironie, mordant et une dose de burlesque qui ne refroidira ni les célibataires ni les conjoints.
«Couple ouvert à deux battants» Jusqu’au 3 avril au Crève-Cœur, www.lecrevecoeur.ch
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