Récemment, l’Université de Genève a fait face à des événements qui, à juste titre, ont suscité une émotion certaine. Il y a d’abord eu la question des lieux de prière dans les bâtiments de l’institution que certains voudraient imposer. Il y a eu ensuite le cas des conférences interrompues par des manifestants qui ont empêché la prise de parole prévue des intervenants.
Il vaut donc la peine de regarder ces deux affaires en face. Car chacune à sa façon soulève la même question: quelle place doivent prendre à l’université les revendications politiques ou idéologiques, et jusqu’où les conflits inhérents à la vie sociale doivent-ils être autorisés à y pénétrer?
Affirmons-le d’emblée: quelle que soit la cause défendue, empêcher la tenue d’un cours ou d’une conférence est totalement inacceptable. De tels comportements doivent être dénoncés avec force.
L’université est une institution vouée à la recherche collective de la vérité et au développement des savoirs. Les activités qui s’y déroulent sont soumises à des règles de méthode, de rigueur et de démonstration qui visent à favoriser cette recherche collective de la vérité. Tout y est fondé sur la transparence de la preuve et l’échange contradictoire d’arguments. Autrement dit, l’université a pour vocation essentielle les progrès du savoir au moyen de la rationalité critique.
L’université n’est donc ni un lieu de croyance, ni un forum d’affirmation identitaire, ni une arène de gladiateurs. Quand on discute d’un objet, celui-ci n’a jamais le statut d’un dogme qu’il faudrait soit vénérer, soit détruire. Il a toujours le statut d’hypothèse à examiner, de théorie faillible, de proposition soumise à l’entendement d’autrui.
Une telle institution du savoir et de la discussion critique ne peut fonctionner qu’à une condition: on doit avoir le droit d’y parler et d’y écrire librement sans encourir d’autre risque que la contradiction et la réfutation par les pairs. Ce n’est pas une question de liberté d’expression en général: c’est une question de liberté d’expression inhérente même au monde de la science et de la recherche.
L’université – comme tous les lieux de formation – n’est pas un lieu de culte, la loi sur la laïcité de l’État étant claire à ce propos: les manifestations religieuses cultuelles ne peuvent se dérouler que dans le cadre privé. Dans une société multiculturelle, c’est justement parce que l’État est laïque et donc neutre sur le plan religieux que la liberté de croyance est garantie pour chacun et que la paix religieuse est maintenue.
En refusant les interférences religieuses dans la vie académique et en adoptant une ligne ferme face aux tentatives de court-circuiter l’échange contradictoire d’arguments autour de thèmes qui peuvent déranger, l’Université de Genève est donc fidèle à sa vocation fondamentale et à sa mission essentielle. C’est pourquoi elle reçoit le plein et entier soutien du Conseil d’État.
En ces temps incertains, nous avons toutes et tous besoin d’une science plus audacieuse, d’une réflexion sans œillères sur un grand nombre de questions essentielles liées à nos modes de vie et d’idées neuves pour remédier à des problèmes nouveaux. La mission des universités est plus importante que jamais. Et la liberté de la recherche est de ce point de vue une nécessité vitale.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.
L’invitée – L’université: ni temple, ni forum, ni arène