Invasion russeL’Ukraine oppose le cœur et la raison
Pour éviter un conflit nucléaire, il faut tenter d’en rester à un conflit limité, en soutenant le plus possible les Ukrainiens et en laissant tendus des fils de la diplomatie.
Ce billet est signé par un blogueur de la plateforme «Les Blogs» en partenariat avec la «Tribune de Genève». Il n’engage pas la Rédaction.

L’Ukraine héroïque et martyre. Ses dirigeants aimeraient tant que l’OTAN et l’Europe en fassent plus. Aider et accueillir les réfugiés, c’est bien. Soutenir les Organisations humanitaires sur place, c’est bien. Insister pour que des couloirs sécurisés s’offrent aux personnes qui fuient les bombardements, c’est bien. Acheminer autant que possible des armes pour étoffer la défense de l’armée ukrainienne, c’est bien encore. Alors plus? Ce serait notamment sécuriser militairement un couloir aérien. Ou plus encore, envoyer des troupes de l’OTAN en Ukraine. Imaginez…
Évidemment, voir à la télévision ces gens menacés sous les bombardements, épuisés, en risque de manquer du nécessaire vital serre le cœur. Même si, — il faut être honnête et ne pas exhiber des postures —, cette tragédie ne nous empêche pas, pour l’essentiel, de mener nos vies habituelles. Mais, c’est vrai, lorsque l’on entend le président ukrainien nous dire qu’ils se battent aussi pour nous et nos valeurs; ou une Ukrainienne, nous regardant droit dans les yeux à travers l’écran, nous dire que c’est déjà notre guerre, que Poutine ne s’arrêtera pas si on ne l’arrête pas, on est forcément assez remué. Pour un peu, en s’imaginant avoir vingt ans et en pensant à ces Suisses qui se sont engagés naguère dans des combats pour leur idéal, on se verrait presque aller se battre là-bas pour nos valeurs de souveraineté, de liberté, de démocratie.
Oui mais voilà. Le cœur a ses raisons que la raison ne peut pas entièrement embrasser. Oui, si, en 1938, la France et l’Angleterre avaient stoppé Hitler, il n’y aurait peut-être pas eu cette horrible guerre mondiale, ni plus tard en conséquence l’emprise stalinienne sur l’est de l’Europe. Cependant, la réflexion sur l’histoire consiste à relever des analogies mais également à retenir les différences. la Pologne de 1939 était liée par un accord militaire avec la France, l’Angleterre et la Russie. L’Ukraine, elle, n’est pas dans l’OTAN. La Russie, qui a glissé dans une paranoïa de pays soi-disant menacé, —– même si les pays de l’OTAN ont leur part de responsabilité dans le développement de ce sentiment — est une puissance nucléaire. Un élargissement de la guerre pourrait conduire un Poutine acculé à se lancer dans l’aventure du pire: pour son pays mais aussi pour les nôtres. Nos gouvernants, tant américains qu’européens, ne peuvent pas jouer avec ce risque apocalyptique. Il faut donc se débrouiller avec ce conflit limité, en soutenant le plus possible les Ukrainiens et en laissant tendus des fils de la diplomatie.
D’ailleurs, ce n’est pas sans effet. L’armée russe poursuit ses avancées mais n’a pas anéanti la résistance. Au Kremlin on commence peut-être à se rendre compte que le contrôle de tout le pays serait très difficile et qu’un enlisement est programmé; certes dans un pays dévasté. Et puis, il y a cette unité européenne non attendue de Moscou. Trois dirigeants de pays de l’UE à Kiev, ce n’est pas rien comme signal politique. Une issue en forme de compromis n’est donc pas impossible; avec notamment une Ukraine non-membre de l’OTAN, voire déclarée neutre comme la Suède ou l’Autriche, mais partenaire proche de l’Union européenne. Et puis, des compromis sur certaines régions comme le Donbass? Espérons.
Ce prix à payer, on le doit à l’Ukraine
Pour en revenir aux pressions, il y a les sanctions économiques. Elles visent à ébranler le régime Poutine, mais elles frappent et frapperont la population russe. Et elles ont des effets en retour chez nous. Là encore, il s’agit d’être lucide. Ce qui est relativement facile pour les États-Unis est très difficile pour des pays comme la Finlande, la Bulgarie ou l’Allemagne. Ces pays dépendent beaucoup, voire énormément du gaz russe. On ne peut pas les obliger à ne plus en importer d’un jour à l’autre. Mais le mauvais calcul du Kremlin c’est qu’un calendrier s’impose pour dépendre de moins en moins de cette Russie dangereuse. L’économie russe va plonger mais celles de nos pays vont subir des conséquences et les consommateurs aussi. Ces conséquences, sans trop maugréer, il faudra les accepter. Ce prix à payer, collectivement et individuellement, on le doit à l’Ukraine. Cela, au moins, on peut le faire.
Certains regrettent que la Suisse ait proclamé son alignement sur l’Union européenne pour les sanctions. L’image de sa neutralité, ses possibilités de bons offices en pâtiraient. Elle aurait dû prendre des décisions en affichant son autonomie dans cette affaire. On peut en discuter. Ce n’est pas notre opinion. Ici, il s’agissait pour tous les pays européens, à l’unisson, de marquer leur attachement à des valeurs communes et leur réprobation commune à ce qui les foule aux pieds. la Suisse se devait de s’inclure dans cette réaction générale. Elle n’est pas dans l’UE mais elle est de l’Europe. À l’époque actuelle et dans cette situation précise, un cavalier seul eût été mal compris. La politique de Neutralité est ce que nous voulons qu’elle soit. Elle n’est pas inscrite dans le marbre. Et puis, la Suisse n’envoie pas d’armes. À terme, sa disponibilité comme centre de négociations resurgira. La Genève internationale n’est pas en passe de déménager en Turquie. La partition européenne est aussi helvétique.
Voilà. Reste à bien accueillir nos frères ukrainiens. On ne peut pas comparer avec les flux de migrants économiques illégaux venant d’Afrique, par exemple. Là, il s’agit plutôt de nouveaux partages économiques à établir, les incitant à demeurer chez eux. Nombre d’Ukrainiens réfugiés en catastrophe ne désirent d’ailleurs que cela: retourner chez eux dans leur pays à reconstruire; ce à quoi il faudra les aider à fond. Ah oui, le cœur et la raison n’avancent pas au même galop. Mais la raison n’étouffe pas le cœur.
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.