Menaces sur le lac LémanL’invasion de la moule quagga se poursuit inexorablement
Des recommandations arrivent pour tenter de freiner l’expansion d’un mollusque qui cause des dégâts par millions.

Décelée pour la première fois en 2015 dans les eaux du lac Léman, la moule quagga a largement pris ses aises. Et si le petit mollusque de quelques centimètres fait l’objet aujourd’hui de recommandations fédérales pour limiter sa propagation, c’est qu’il constitue un véritable fléau. Pour les pêcheurs, qui passent désormais de longues heures à en débarrasser leurs filets, mais aussi pour l’alimentation du réseau d’eau potable. Aux États-Unis, des millions de dollars sont engagés chaque année pour lutter contre ce coquillage de quelques centimètres à peine. Car sa vitesse de propagation est étonnante. En cinq ans, il a presque entièrement colonisé le Léman, évinçant sa cousine zébrée. Il s’agit désormais d’éviter que la quagga ne s’installe dans les lacs encore préservés.
Le pessimisme règne du côté des spécialistes. «La moule quagga, on va devoir s’y habituer, affirme Brigitte Schmidt, car les grands lacs de Suisse sont tous colonisés, à part celui de Zurich.» Employée au Service des eaux de la Ville de Lausanne, la biologiste est chargée d’étudier le phénomène. Ce mollusque originaire de la région de la mer Noire affecte directement le pompage des eaux du Léman, qui alimente pour une large part les ménages de la région. Elle se fixe partout, même dans les canalisations. Dans la réfection de l’usine de pompage de Saint-Sulpice, le problème a été identifié juste à temps pour modifier le projet. Mais la parade idéale n’a pas encore été trouvée. «Il n’existe pas de solution clés en main, alors on cherche encore», dit Brigitte Schmidt.
«La moule quagga, on va devoir s’y habituer. Les grands lacs de Suisse sont tous colonisés, à part celui de Zurich»
Colère des pêcheurs
Mais c’est du côté des pêcheurs professionnels que la colère gronde. «C’est de la folie, il y en a vraiment partout, constate Ilan Page, président de l’Association suisse romande des pêcheurs professionnels. On passe quarante-cinq minutes à nettoyer chaque filet, on en remonte parfois 30 kilos.» Il en appellerait volontiers à un défraiement de l’État. Son collègue d’Ouchy, Serge Guidoux, ajoute: «Personne n’a rien fait contre cette moule, tout comme lors de l’arrivée des cormorans, peste-t-il. Et pendant qu’on poursuit des études, les poissons se raréfient.» Le pêcheur craint que la petite moule, qui filtre un litre d’eau par jour, ne s’accapare les micro-organismes à la base de la chaîne alimentaire. Et de pointer les embarcations qui passent d’un lac à l’autre sans le moindre contrôle. Or c’est par ce biais que les moules voyagent. Accrochées à la coque ou, sous forme de larve, dans l’eau résiduelle de tout ce qui peut flotter.
C’est d’ailleurs l’objectif pointé par la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman (CIPEL). Elle publiait ce mardi dans un communiqué quelques recommandations aux usagers du lac visant à éviter la propagation de la moule quagga. En attendant la publication d’une étude réalisée l’an dernier, l’association répercute les recommandations édictées par l’Office fédéral de l’environnement (lire ci-contre). Vider les eaux de ballast d’un bateau avant son transfert, ainsi que faire tourner le moteur à terre quelques secondes, semblent des gestes simples. En revanche bien peu de navigateurs auront accès à une eau à 40 degrés pour le nettoyage de la coque. Il en va de même pour les plongeurs, qui rechigneront peut-être à tremper leur matériel dans une solution de vinaigre et d’eau. Secrétaire générale de la CIPEL, Audrey Kein estime que cette mobilisation reste nécessaire. «Il faudra rappeler ces gestes sur le long terme pour sensibiliser le public, mais il est vrai qu’on a toujours un train de retard sur les espèces invasives.»
Plans d’eau à préserver
Au sein de l’administration vaudoise, la problématique commence à se faire une place. Avec une soixantaine de plans d’eau, le Canton devra batailler pour éviter l’invasion. «Il est même probable que le lac de Joux soit touché, confie Nathalie Menétrey, cheffe de section à la Direction générale de l’environnement (DGE). On y a trouvé un exemplaire et on observe l’évolution de la situation.» Faute de moyens, toutes les étendues d’eau ne pourront pas faire l’objet d’une surveillance stricte. Mais les principaux lacs vont faire l’objet d’analyses. Une méthode identifiant l’ADN présent dans l’eau des lacs et étangs devrait permettre de recenser les gouilles encore préservées de la quagga. La Suisse n’est pas en avance dans sa lutte contre l’envahisseur. «Mais ça vaut encore la peine de protéger ce qui peut l’être», estime la biologiste. Reste à voir avec quelle vigueur ce sera entrepris. Faudra-t-il suivre le Tessin? Les lacs y sont en effet encore préservés et une obligation de nettoyer les bateaux en transit, dans un centre certifié, a été mise en place.
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