Pétarade au Théâtre Saint-GervaisL’iconoclasme comme bouée de sauvetage
Léa Pohlhammer est «Violencia Rivas», ex-prophète de la culture punk qui ne recule devant aucun tabou. Un sacrilège à déguster quand on n’a plus foi en rien. Sauf le plaisir.

On pourrait la croire simplement nostalgique. Après tout, quand elle ne mixe pas des tubes des années 1980 durant ses DJ sets au cœur de la nuit genevoise, Léa Pohlhammer réhabilite bien sur scène des objets obsolètes types boguet, cassette audio ou téléphone à cadran. Et en plus de cette «Collection» vintage réalisée avec ses complices Catherine Büchi et Pierre Mifsud, c’est bien elle encore, avec les mêmes, qui s’en va déterrer «L’Oiseau vert» pour le 100e anniversaire de Benno Besson…
Rébellion punk
En fait, non. Au moment où s’illumine l’inscription «ci-gît la nostalgie», en conclusion de «Violencia Rivas», on comprend qu’à 47 ans, la Chilienne grandie dans la Cité de Calvin est revenue même de ça, l’ennui du temps passé. D’ailleurs, comment regretterait-on ce qui n’a jamais existé? Comme c’est le cas de la grande dame invoquée dans le titre, née de l’imagination de deux humoristes argentins, et néanmoins passée égérie bien réelle de la contestation sociale à Buenos Aires?
Celle qui, sur le plateau de Saint-Gervais, se revendique aujourd’hui punk avant l’heure, pionnière du «No future», chantre de l’agit-prop antibourgeoise depuis l’émission TV minable qu’elle animait dans les années 1960, recouvre de quelques étiquettes la force vitale de l’hérésie. La puissance intemporelle de l’injure. La déflagration du sacrilège. Or, cet iconoclasme-là traverse les époques et les idéologies. Elle est l’insulte suprême du gentil, déçu au plus profond dans sa foi en l’humanité.

Alors, fleur bleue dans son utopie kitsch, Violencia vilipende sans retenue. La «société de merde» qui domestique ses sujets. L’injonction à la beauté qui pèse sur les femmes. L’affolement hormonal qui sème les enfants. À sa ribambelle de filles qui la sollicitent hors-champ, elle répond par une pluie de grossièretés – au point de railler sa cadette, éducatrice de la petite enfance au zénith de la gnangnantise, tout en tripotant nonchalamment le clitoris factice cousu (par Aline Courvoisier) sur sa culotte.
Euphorie trash
Le seul être digne de chaperonner la Rivas dans son furieux tour de chant est un clebs belgo-hispanique, jamais avare de frottements intempestifs contre sa jambe de diva. Truffe au nez et mèches aux oreilles, Adrien Barazzone interprète ce toutou à sa mémère en révélant haut la papatte l’ampleur de sa fibre comique. Quant à Léa Pohlhammer (que soutiennent Florence Minder et Julien Jaillot dans cette création de 2021), son magnétisme d’actrice n’était plus à prouver. Si quelque chose de neuf s’affirme ici, c’est le coup de reins de sa dramaturgie, qui crève un à un les ballons de baudruche parsemant le décor.
«Violencia Rivas», jusqu’au 11 mars au Théâtre Saint-Gervais, www.saintgervais.ch
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