Revue de presse Covid-19«L’hypothèse d’un virus sorti d’un laboratoire ne peut être écartée»
L’origine de la transmission du Covid-19 à l’homme reste inconnue. Pour le virologue français Étienne Decroly, tant que l’hôte animal intermédiaire n’a pas été identifié, la possibilité d’un accident au laboratoire de Wuhan demeure plausible.

L’hypothèse de la fuite du virus Covid-19 du laboratoire de recherche de Wuhan resurgit. Et c’est dans le très sérieux «Journal du Centre national de recherche scientifique» (CNRS) en France que cette hypothèse est sérieusement débattue. S’il ne fait aucun doute que le virus provient de la chauve-souris, sa transmission à l’homme reste un mystère car il n’y a pas eu de transmission directe entre cet animal et nous. À la recherche d’un hôte intermédiaire, les scientifiques ont avancé la possibilité d’un transfert via le pangolin ou la civette.
Ce n’est pas le pangolin
«La découverte dans le génome de coronavirus infectant des pangolins d’une courte séquence génétique codant pour le domaine de reconnaissance du récepteur ACE-2, apparenté à celle qui permet à SARS-CoV-2 de pénétrer les cellules humaines, a un temps fait penser qu’on tenait un possible hôte intermédiaire, mais le restant de son génome est trop distant du SARS-CoV-2 pour être un ancêtre direct», estime Étienne Decroly, directeur de recherche au CNRS au laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (CNRS/Aix-Marseille Université), membre de la Société française de virologie. L’hypothèse d’une combinaison de plusieurs coronavirus dans un animal sauvage vendu sur le marché de Wuhan «pose de nombreux problèmes», selon le scientifique français.
Chauves-souris et pangolin
«Tout d’abord à cause de la géographie: les échantillons viraux de chauves-souris ont été recueillis dans le Yunnan, à près de 1500 km du Wuhan où a éclaté la pandémie. Ensuite pour une raison écologique: chauves-souris et pangolins évoluent dans des écosystèmes différents et on se demande à quelle occasion leurs virus auraient pu se recombiner. Et surtout, on note que le taux d’identité entre les séquences de SARS-CoV-2 et celles issues du pangolin n’atteint que 90,3%, ce qui est bien inférieur aux taux habituellement observés entre les souches infectant l’humain et celles infectant l’hôte intermédiaire. Par exemple, le génome du SARS-CoV et celui de la souche de civette dont il descendait partagent 99% d’identité», explique-t-il. (…)
«En dépit des recherches de virus dans les espèces animales vendues sur le marché de Wuhan, aucun virus intermédiaire n’a pu être identifié à ce jour. Tant que ce virus intermédiaire n’aura pas été identifié et son génome séquencé, la question de l’origine de SARS-CoV-2 restera non résolue. Car en l’absence d’éléments probants concernant le dernier intermédiaire animal avant la contamination humaine, certains auteurs suggèrent que ce virus pourrait avoir franchi la barrière d’espèce à la suite d’un accident de laboratoire ou être d’origine synthétique». Voilà que resurgit une hypothèse sur l’origine qui était jusqu’ici évoquée sans preuve dans les milieux complotistes.
La chimère de Luc Montagnier
À la question de savoir si Covid-19 puisse sortir d’un laboratoire, le virologue répond que cette hypothèse ne peut être éliminée. «Le SARS-CoV qui a émergé en 2003 est sorti au moins quatre fois de laboratoires lors d’expérimentations. Par ailleurs, il faut savoir que les coronavirus étaient largement étudiés dans les laboratoires proches de la zone d’émergence du SARS-CoV-2 qui désiraient entre autres comprendre les mécanismes de franchissement de la barrière d’espèce. Toutefois, pour l’instant, les analyses fondées sur la phylogénie des génomes complets de virus ne permettent pas de conclure définitivement quant à l’origine évolutive du SARS-CoV-2», détaille Étienne Decroly. «Tant qu’on n’aura pas trouvé l’hôte intermédiaire, cette hypothèse d’un échappement accidentel ne peut être écartée par la communauté scientifique», ajoute-t-il.
De nombreux sites complotistes se référaient aux affirmations de Luc Montagnier, découvreur du VIH qui explique que SARS-CoV-2 serait une chimère virale créée dans un laboratoire chinois entre un coronavirus et le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Pour le virologue, cette hypothèse a été réfutée par les spécialistes mais «elle part d’une observation tout à fait sérieuse et importante pour la compréhension du mécanisme d’infection de SARS-CoV-2 «par des insertions qui ne résulteraient pas d’une recombinaison naturelle ou d’un accident, mais d’un vrai travail de génétique, effectué intentionnellement, vraisemblablement dans le cadre de recherches visant à développer des vaccins contre le VIH. Ces affirmations ont une nouvelle fois été réfutées et notre étude «indique de façon certaine que ces séquences sont apparues indépendamment, à différents moments de l’histoire évolutive du virus. Ces données invalident l’hypothèse d’une insertion récente et intentionnelle de ces séquences par un laboratoire.» Cependant, «reste une quatrième insertion qui fait apparaître un site de protéolyse furine chez le SARS-CoV-2 absente dans le reste de la famille des SARS-CoV. On ne peut donc pas exclure que cette insertion résulte d’expériences visant à permettre à un virus animal de passer la barrière d’espèce vers l’humain dans la mesure où il est bien connu que ce type d’insertion joue un rôle clé dans la propagation de nombreux virus dans l’espèce humaine». (…)
Des expérimentations à mieux encadrer
«Quoi qu’il en soit, que ce virus soit ou non d’origine naturelle, le fait même que la question puisse désormais être sérieusement posée nous contraint à une réflexion critique sur les outils et les méthodes de reconstruction de virus actuellement à l’œuvre dans les laboratoires de recherche, et sur leur usage potentiel dans des expériences, conclut le scientifique, «même s’il s’avère que la pandémie de Covid-19 est finalement le résultat d’une zoonose (transmission de l’animal à l’homme), plusieurs incidents ayant conduit à des sorties accidentelles de virus depuis des laboratoires ont été documentés ces dernières années. Un des cas les plus connus concerne le virus Marburg, issu d’une contamination par des singes sauvages. La pandémie grippale de 1977 en est un autre exemple. Des études génétiques récentes suggèrent qu’elle aurait résulté de la sortie de laboratoire d’une souche virale collectée dans les années 1950. Et plus récemment, plusieurs sorties accidentelles de SARS-CoV étudiés dans des laboratoires ont été rapportées dans la littérature, même si elles n’ont heureusement donné lieu à aucune épidémie importante».
«Pratiques à haut risque»
«Mais, au vu des risques infectieux que les techniques d’étude des virus nous font aujourd’hui courir, la société civile et la communauté scientifique doivent au plus vite s’interroger sur la pratique d’expériences de gain de fonction et d’adaptation artificielle de souches virales dans des hôtes animaux intermédiaires. En 2015, conscientes de ce problème, les agences fédérales américaines avaient gelé le financement de toute nouvelle étude impliquant ce type d’expériences. Ce moratoire a pris fin en 2017. Ces pratiques à haut risque devraient, à mon sens, être repensées et encadrées au niveau international par des comités d’éthiques. Enfin, les chercheurs de ces domaines doivent également mieux prendre en compte leur propre responsabilité dès lors qu’ils ont conscience des dangers éventuels que peuvent générer leurs travaux. Des stratégies expérimentales alternatives existent souvent pour atteindre les objectifs tout en limitant fortement les risques expérimentaux».
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