L'Europe envisage de taxer le kérosène des avions
Avec le soutien de la France, les Pays-Bas démarrent une campagne pour taxer le kérosène. Une idée contestée par Angela Merkel

Mercredi soir, dans l'hémicycle du Parlement européen à Bruxelles, les six têtes de liste aux prochaines élections (du 23 au 26 mai) s'affrontent devant les caméras de l'Eurovision. La tête de liste socialiste Frans Timmermans, actuel vice-président de la Commission européenne et ancien ministre des Affaires étrangères néerlandais, jette alors un pavé dans la mare: «Pourquoi on ne taxe pas le kérosène?»
Sa question tombe à plat… mais pas du ciel. Quelques jours plus tôt, un mystérieux informateur a fait fuiter un rapport confidentiel commandé par la Commission européenne mais qui n'avait pas vocation à sortir des tiroirs en pleine campagne électorale. Il y est question sur 60 pages des possibilités de taxation dans le domaine de l'aviation. Cette dernière bénéficie d'une exemption à la taxe sur les carburants pour les vols internationaux depuis la Convention de Chicago, signée en 1944.
Lundi, plusieurs quotidiens européens, dont «Le Monde» et le «Financial Times», en ont sorti l'information la plus croustillante: «Une taxe de 0,33 centime le litre permettrait de faire baisser de 11%» les émissions du secteur et de lever 27 milliards d'euros de recettes par an.
Initiative venue de Hollande
Le début de la campagne pour la taxation du kérosène remonte à février, sur initiative des Pays-Bas. Lors d'un Conseil «Affaires économiques et financières» (Ecofin) à Bruxelles, le secrétaire d'État aux finances Menno Snel (membre du Parti libéral centriste D66) propose de travailler sur «un juste prix pour les billets d'avion».
Selon le politicien hollandais, l'inclusion des coûts externes pourrait permettre une diminution des émissions de carbone. «Si nous voulons relever ce défi de façon efficace, nous devrons travailler ensemble pour lever une taxe sur l'aviation», expliquait-il au moment d'annoncer pour le mois de juin une conférence ministérielle à La Haye sur ce thème.
L'Irlande, siège de Ryanair, deuxième plus grande compagnie européenne derrière Lufthansa, est réticente, mais le plan néerlandais ne requiert pas l'unanimité. Il ne s'agit pas de créer un impôt européen, mais de réunir une coalition de pays prêts à sortir, par des mesures nationales, du «zéro taxe» sur le kérosène.
Effet Greta Thunberg
À la faveur de la «grève» scolaire lancée par l'activiste Greta Thunberg, le sujet climatique prend de l'ampleur au point de se retrouver au centre des discussions sur le programme de travail de l'Union pour les cinq ans à venir. Le 9 mai, lors d'un sommet extraordinaire à Sibiu, en Roumanie, le président français Emmanuel Macron a présenté son «appel pour le climat». Soutenue rapidement par sept pays (Belgique, Luxembourg, Espagne, Portugal, Danemark, Suède et Pays-Bas), la proposition française appelle à ce que l'Union européenne s'engage à atteindre la «neutralité carbone» (zéro émissions) en 2050.
Fait nouveau, le premier ministre néerlandais Mark Rutte s'est rangé du côté du président français, qu'il a rencontré quelques jours plus tôt à Paris. Jusque-là isolé dans le paysage partisan européen, La République en marche (LREM), le parti macronien, est sur le point de s'arrimer à l'alliance libérale européenne dont le parti de Rutte, le VDD, est un des membres fondateurs. Les deux pays sont par ailleurs coactionnaires depuis 2004 du groupe Air France-KLM, principal challenger du groupe allemand Lufthansa, maison mère de Swiss, et membre du consortium Airbus.
+300% d'émission en 2040
La croissance des émissions du transport aérien est vertigineuse. Même en tenant compte des progrès techniques, elle augmentera de 68% en 2020 par rapport à 2010, de 185% en 2030 et de 300% en 2040, indique une note du gouvernement néerlandais. Or, «la neutralité ne peut fonctionner que si tous les secteurs contribuent», insiste Andrew Murphy, consultant pour l'ONG T & E (Transport & Environnement).
Après avoir passé son tour à Sibiu, Angela Merkel est finalement montée dans le train de la «neutralité», mais pas encore celui de la taxe kérosène. «La question ne doit pas être si nous pouvons atteindre ce but, mais comment nous allons le faire d'ici à 2050», a-t-elle déclaré le 14 mai. Deux jours plus tard, à l'issue de la visite du premier ministre Mark Rutte, la chancelière a précisé: «La neutralité ne peut être obtenue en 2050 que si nous compensons les émissions résiduelles de carbone soit par le reboisement, soit par le stockage.»
L'Allemagne peut-elle bloquer les projets néerlandais? Tout dépendra de la coalition susceptible de se former après les élections européennes autour de ce qui commence à ressembler à un axe nord-sud, socialo-libéral et auquel pourraient se rallier les écologistes. Une chose est certaine: au lendemain des élections, les mesures climatiques seront au cœur des négociations entre partis.
La Suisse présente à La Haye
Le «Dutch Tax Summit» consacré à la taxation de l'aérien se tiendra les 20 et 21 juin, sous la présidence de Menno Snel, en présence notamment de la ministre des finances suédoise Magdalena Andersson et de la secrétaire d'Etat à l'environnement française Brune Poirson. La Suisse «sera bien présente», confirme La Haye. Les services d'Ueli Maurer ont passé leur tour. «Du côté du DFF, personne ne prend part à la conférence», a indiqué un porte-parole.
En revanche, l'Office fédéral de l'aviation civile s'est dit «très intéressé». «Nous recevons beaucoup de demandes de citoyens… on nous demande pourquoi la Suisse n'introduit pas une taxe sur le kérosène», reconnaît le porte parole du DETEC Dominique Bugnon. La taxation du transport aérien fait partie des sujets contentieux de la loi sur le CO2 examinée en janvier par le Conseil national et qui sera présentée au Conseil des Etats à l'automne.
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