Le Tribunal fédéral donne raison à l’État de GenèveSes chauffeurs sont des employés, les activités d’Uber suspendues
Les chauffeurs sont des salariés. L’activité de transport de personnes d’Uber est suspendue à partir de samedi.

La bataille juridique sur le statut des chauffeurs Uber en Suisse est désormais close. Le Tribunal fédéral a donné raison à l’État de Genève, qui menait la bataille au niveau national. Les chauffeurs qui utilisent la plateforme de la multinationale sont des employés, pas des indépendants.
Le Département de l’économie et de l’emploi (DEE) n’a pas mâché ses mots vendredi après-midi. Pour Fabienne Fischer, à la tête du DEE, la décision du Tribunal fédéral rendue publique le même jour est «une victoire historique» qui fera jurisprudence pour toute la Suisse. La conseillère d’État Verte y voit «une avancée majeure en termes de protection des employés, de lutte contre la concurrence déloyale».
Plus de véhicules Uber à Genève
La plus haute instance judiciaire du pays a validé la décision prise par le Canton de Genève en octobre 2019. À l’époque, le Service de la police du commerce et de lutte contre le travail au noir (PCTN) avait considéré les chauffeurs de la plateforme comme des employés, et non pas des indépendants. Une décision qui avait été attaquée par Uber auprès de la Cour de justice du canton de Genève. Après avoir été déboutée, la société avait porté le dossier au Tribunal fédéral (TF).
Les premiers effets de l’arrêt du TF sont immédiats pour Genève: les activités de transport de personnes d’Uber sont suspendues dès le samedi 4 juin minuit dans le canton. Cette mesure sera maintenue jusqu’à ce que la société se mette en conformité avec la loi, a annoncé le DEE lors de sa conférence de presse.
La mise en règle passera par le versement des salaires et des cotisations sociales dus, le tout de manière rétroactive. Et c’est là que ce dossier, déjà épineux, se corse encore. L’État a été clair ce vendredi, la suite dépendra désormais du travail effectué en amont par Uber. «La société a eu deux ans et demi pour se préparer», a rappelé Fabienne Fischer.
Des calculs compliqués
Concrètement, la société va devoir fournir au département des estimations concernant la totalité des personnes qui ont travaillé grâce à ses applications: temps de travail, revenus versés et vacances dues. «C’est la responsabilité de n’importe quel employeur», résume Fabienne Fischer.
Que va-t-il arriver aux chauffeurs privés d’activité du jour au lendemain? Selon l’État, ils devraient recevoir un salaire car, «aujourd’hui, ils sont reconnus salariés d’Uber. L’impossibilité de travailler est imputée à l’entreprise, ils doivent donc être payés.»
Quel sera leur salaire? De quelle manière sera calculé leur taux de travail? Mystère. Seule donnée connue: le salaire minimum genevois de 23 fr. 27 par heure devra s’appliquer. Fabienne Fischer imagine qu’Uber se basera sur un «gain moyen».
«Situation de crise chez Uber»
Si la multinationale devait décider de quitter le canton – voire la Suisse – à la suite de ces dernières évolutions défavorables à son modèle d’affaires, chauffeurs et livreurs auront droit au chômage grâce à la confirmation de leur statut d’employés. Mais le potentiel calcul des indemnités sera un casse-tête. Charles Barbey, directeur général de l’Office cantonal de l’emploi (OCE), imagine «qu’il doit exister une situation de crise chez Uber».
Dans un deuxième arrêt, concernant cette fois les livreurs Uber Eats, le Tribunal fédéral a aussi considéré qu’ils étaient des employés. Selon le DEE, le service pourra cependant être maintenu dans l’attente de la mise en conformité.
Selon Roger Rudolph, professeur de droit du travail à l’Université de Zurich, les décisions du Tribunal fédéral concernant les services d’Uber ont valeur d’avertissement non seulement pour Uber, mais aussi pour les relations contractuelles similaires d’autres prestataires. «Les deux jugements ont un effet de signal clair, même si, selon l’angle juridique, on ne peut pas encore parler d’une situation clarifiée pour tous les cas», explique le spécialiste.
Syndicats satisfaits
Du côté des syndicats, on crie victoire tout en attendant des mesures. «Cela fait neuf ans qu’Uber est arrivé en Suisse. Neuf ans de travail au noir et des centaines de millions de francs dont le personnel et les assurances sociales ont été privés», soulève Roman Künzler, responsable transports et logistique du syndicat Unia dans un communiqué.
Unia demande désormais à la Confédération de se réunir rapidement avec les cantons et les représentants des salariés «afin de s’assurer que, dans maximum de trois mois, tous les chauffeurs et chauffeuses d’Uber et le personnel de livraison d’Uber Eats en Suisse disposent d’un contrat de travail, sous peine de voir les activités d’Uber interdites dans tout le pays».
«Uber doit être mis en demeure de bloquer l’argent nécessaire pour rembourser les assurances sociales, ainsi que les salaires et frais des livreurs et des chauffeurs de ces dernières années», demande encore le syndicat.
«Nous n’avons pas d’autre choix que de suspendre nos services de VTC dans le canton.»
Uber, qui a réagi en fin de journée, estime que «ces décisions ne tiennent pas compte du fait que les conducteurs et les coursiers ne veulent pas être employés». «Nous n’avons pas d’autre choix que de suspendre nos services de VTC à Genève», annonce l’entreprise, qui dit espérer trouver «une solution acceptable» avec les autorités. Elle estime que l’arrêt du TF «n'a pas d'implications directes» pour ses opérations dans le reste de la Suisse.
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