Exposition à CarougeLes yeux vairons de Jonathan LLense
Le photographe français né en 1984 fait l’objet d’un bel accrochage à l’Espace Jörg Brockmann, dans le bâtiment d’ARCOOP à Carouge. Décryptage.

«Ton œil est plus intelligent que toi», répétait son professeur à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, dont il est sorti diplômé en 2013. À l’intelligence réflexe de l’œil, on est tenté, dans le cas de Jonathan LLense, de joindre celle du patronyme: amputé du second L attestant l’origine catalane, «lense» ne renvoie-t-il pas directement, en anglais, à son médium de prédilection, l’objectif photographique? Au-delà du jeu de mots, la coïncidence pointe la démarche à la fois instinctive et déterminée d’un artiste que l’Espace Jörg Brockmann invite pour la deuxième fois à occuper ses murs carougeois. Partant de «pérégrinations au quotidien», selon l’expression du photographe, cette démarche consiste à «composer ou recomposer» les éléments repérés au hasard de sorte à en tirer une «perception nouvelle et ludique». «Des pas de côté libérés de toute convention», acquiesce son galeriste.
Une image de Jonathan LLense se reconnaît instantanément, qu’elle ait été saisie en France, au Mexique ou, comme pour la série «Uncertain Life & Sure Death» à voir en ce moment, en Inde. Son format est invariablement vertical, son point de vue à hauteur d’yeux, son agencement centré et son sujet unique. Animaux, plantes, statues ou objets s’y offrent spontanément au regard, même si la main de LLense est intervenue «en amont ou en aval» pour mettre en scène ou retoucher. Sans intention, ni documentaire, ni discursive, le photographe rencontre un signe – chat, fleur ou chaise en plastique – et un dialogue s’instaure dans lequel il aura, certes, le dernier mot. Mais son œil intelligent, dans le processus, aura mystérieusement révélé une part de l’inconscient de son interlocuteur. Et du spectateur avec.
«Uncertain Life & Sure Death» Exposition jusqu’au 5 mai à l’Espace Jörg Brockmann, et monographie parue aux Éditions FP&CF, www.espacejb.com.

Le signe prend ici l’aspect d’un chat blanc, guettant on ne sait quoi depuis l’intérieur d’une cave obscure. Ses yeux bicolores ne sont pas le résultat d’une manipulation par Photoshop, mais l’effet à peine accentué du flash auquel LLense a eu recours pour distinguer l’animal. Sur le négatif, la lumière n’avait rougi que l’iris gauche: en augmentant légèrement le contraste avec le droit, l’artiste obtient ce regard à la fois surnaturel et convaincant.

En ligne droite sous le museau de la créature fantastique, deux mamelons saillent sous une bâche de plastique usée – rouge elle aussi – en accord avec ses pupilles. Tandis que ces protubérances aveugles masquent ce qu’on devine comme étant des bouteilles, les orbites du chat, elles, sont expressives au point de lui sortir de la tête. Du reste, à leur vue, les nôtres auraient tendance à les imiter, tant leur surprise est grande dans ce décor prosaïque.

Tous les éléments de la photographie répondent aux couleurs du félin. En plus des verts et des roses alentour, ce sac blanc au contenu incertain reprend la forme de son ventre, de son corps tout entier. Ainsi, par association, ce sont tous les objets visibles dans le cliché qui nous toisent avec le chat.

À cause du flash utilisé par Jonathan LLense, l’ombre de l’animal se détache dans un contraste saisissant. Ce redoublement très noir de la très pâle silhouette ajoute au mystère de l’ensemble. Non seulement il fait écho à la petite tache noire sur le sommet du crâne, mais il renforce également l’impression que le chat s’apprête à bondir.
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