Face-à-faceLes pistes du Covid

L’apparition ces dernières semaines de nouvelles pistes cyclables larges et nombreuses a fait tout de suite sentir ses effets sur le trafic urbain. Si les cyclistes ne sont pas encore assez nombreux pour remplir ces espaces ouverts à l’occasion de la crise sanitaire, les automobilistes, eux, se retrouvent à la queue leu leu sur certaines artères. Nos invités confrontent leurs points de vue sur ce sujet.
C’est le procédé qui est critiquable
Ivan Slatkine, Éditeur Président de la Fédération des Entreprises Romandes

Onze ans déjà que l’IN 144 « pour la mobilité douce », a été acceptée par la population genevoise. Depuis, d’autres votes populaires ont eu lieu sur le sujet de la mobilité à Genève tels que la traversée du lac ou encore la loi pour une mobilité cohérente et équilibrée en 2016.
Sur la base de ces trois votes, nos autorités ont le devoir de mettre en place des mesures pour atteindre les objectifs fixés et validés par la population. Ce n’est donc pas une surprise si 9 ans après son acceptation, l’IN 144 est enfin appliquée. Personne ne conteste la nécessité d’améliorer le réseau cyclable dans notre Canton et de faciliter la mobilité douce de manière plus large. Dans ce sens, le développement d’un réseau cyclable continu et sécurisé ainsi que la création de nouvelles zones piétonnes sont justifiés. Là où le bât blesse, c’est dans la méthode adoptée par la Ville de Genève et le Canton pour mettre en place ces nouveaux aménagements urbains.
Chaque jour, les usagers de la route, quels qu’ils soient, découvrent de nouvelles mesures sans en avoir été informé, sans que l’on leur ait expliqué la logique qui motive ces dernières. Routes barrées ou mises en sens unique, pistes cyclables créées sur des tronçons de quelques centaines de mètre pour disparaître aussi rapidement qu’elles sont apparues, suppression de voies de circulation sans qu’on en comprenne le sens, feux rouges non adaptés, absence de signalisations claires, voilà autant de mesures prises sans la moindre concertation, de nuit, en catimini.
À Genève, tous les usagers de nos infrastructures routières rêvent d’une meilleure sécurité, d’une meilleure fluidité. Si notre canton est certes exigu, il doit être possible de réaliser des aménagements qui, s’ils facilitent le transport des uns, ne péjorent pas pour autant le transport des autres. Au-delà des aménagements en tant que tels, une bonne communication permettant à tous de comprendre comment se déplacer, intégrant tous les usagers de la route, dont le transport professionnel, détaillant et expliquant la hiérarchisation du réseau routier serait à n’en point douter un élément essentiel pour asseoir la politique menée.
En agissant en mode Covid, sans discussions ni explications, en réanimant ainsi la guerre des transports, nos autorités ne donnent pas un signal positif à une économie qui se remet péniblement d’un choc extrême. En agissant non pas dans l’esprit des lois mais de manière autoritaire et sournoise, nos autorités nous font plus penser à un régime totalitaire digne de la Chine populaire qu’à un modèle de démocratie. Si on souhaite que la reprise soit bénéfique pour tous, il est nécessaire que nos ingénieurs en circulation corrigent rapidement les erreurs constatées quand elles sont avérées, mais surtout qu’ils soient accompagnés de spécialistes en communication pour que ces mesures soient comprises et intégrées de manière positive par la population. C’est de cette façon qu’on saura éviter une congestion complète de notre Canton et donc de notre économie, économie qui est essentielle pour nous ramener une prospérité aujourd’hui fortement éloignée.
Un bond en avant pour les cyclistes
Olivier Gurtner, Président ad interim Pro Velo Genève

Les nouvelles voies cyclables à Genève suscitent le débat et certains s’en donnent à cœur joie: «mesures autoritaires», «caprice de cyclistes», «dictateurs à vélo», «mesures iniques et incompréhensibles». Les fauves (se) sont lâchés. Ces aménagements sont pourtant indispensables si l’on veut assurer un avenir sain pour Genève. La Ville et le Canton ont donc raison d’avoir lancé ces aménagements.
Pollution atmosphérique, deux canicules en 5 ans, ville très dense (plus que Londres et Berlin)… Genève a mal son climat. Le vélo est une bonne solution pour celles et ceux qui le pratiquent, oui, mais aussi pour toute la société. Silencieux, non-polluant, peu gourmand en place et source d’exercice physique, il cumule de nombreux avantages, à l’inverse de la voiture, polluante, bruyante, gourmande en place, etc.
Des actions plutôt que des slogans. Les aménagements provisoires sont tenus autant à gauche (Socialistes, Verts et Ensemble à Gauche) que par le PDC et certaines figures du PLR, comme Alexandre de Senarclens, Alexis Barbey et Cyril Aellen. Et la population aussi, puisqu’une pétition a été déposée jeudi avec 17’500 signatures, à l’initiative de Pro Vélo, actif trafiC, l’ATE et des d’autres associations, notamment d’habitant-e-s. Sur le terrain, on voit le résultat: un succès pour ces nouvelles voies, bien fréquentées, à l’image d’autres aménagements, comme la Voie Verte et la piste à deux sens sur la rive gauche. Alors c’est vrai, tout n’est pas encore rose au royaume de la petite reine: certaines pistes paraissent trop larges, certains itinéraires peu adaptés, la communication pas optimale, les milieux n’ont pas été consultés. Mais rappelons que les voies choisies ne sortent pas du chapeau, qu’elles sont étudiées depuis plusieurs mois par les collectivités et surtout qu’il s’agit d’un test, sur 60 jours.
En Suisse, on a une angoisse terrifiante d’essayer, de tester, de vivre quelque chose d’imparfait. Or il s’agit bien d’un essai, pas de graver dans les tables de la Loi ces chemins.. Rappeler la loiNon, le vélo n’est pas un plaisir égoïste individuel, c’est un moyen concert d’agir pour la société et l’environnement. Les cyclistes ne réclament pas des voies démesurées de 6 mètres de large, ils demandent que le droit soit appliqué. Et que dit-il? La loi pour la mobilité cohérente et équilibrée (LMCE) dispose clairement que, dans le centre et l’hyper-centre, «la priorité en gestion du trafic et aménagements est donnée à la mobilité douce et aux transports publics».
La LMCE a été acceptée à 68% de la population genevoise, qui d’ailleurs a voté pour la promotion de voies cyclables dans la Constitution fédérale, à plus de 83%. Enfin, promouvoir le vélo pour le transport individuel, c’est aussi encourager les transports publics et le transport professionnel (livreurs, artisans, entreprises) en leur laissant plus de place, cette place dont eux ont besoin, réellement, autant que les vélos.
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