Nous avons lu avec étonnement et tristesse le texte de Stéfanie Prezioso, «Nous sommes tous des Arméniens» (voir «Tribune» du 4 mai), où nous sommes directement pris à partie, avec plus de persuasion que d’arguments précis.
Mme Prezioso parle d’une «infâme propagande» à propos de notre «coffret DVD». Outre qu’elle ne répond strictement rien sur le fond (il s’agit d’un documentaire où s’expriment des historiens spécialistes de la période, souvent non-turcs, comme les Anglo-Saxons Andrew Mango, Justin McCarthy, Jeremy Salt et Norman Stone, l’américain Edward Erickson et le Français Maxime Gauin) ce coffret contient aussi le rapport remis en 1920 — après enquête en Anatolie — par le général américain James Harbord, où il est notamment précisé que les massacres commis par les Arméniens de l’armée russe «rivalisent incontestablement avec ceux des Turcs dans leur inhumanité».
Deux membres de la mission Harbord, Emory Niles et Arthur Sutherland, ont remis un rapport séparé, où se trouvent des constats tels que: «premièrement, des Arméniens ont massacré des musulmans en grand nombre, avec bien des raffinements de cruauté; et, deuxièmement, les Arméniens sont responsables du plus grand nombre de destructions dans les villes et les villages». Soulignons au passage que les Kurdes d’Anatolie et d’Irak du nord sont surreprésentés parmi les auteurs de massacres d’Arméniens, en 1915-1916, mais aussi parmi les victimes des massacres décrits (notamment) par Harbord, Niles et Sutherland. Le silence de Mme Prezioso sur de tels faits rend étrange, voire contradictoire, la kurdophilie qu’elle affiche dans le même texte.
Sur la tragédie de 1915-1916, Mme Prezioso ne dit nulle part où est cette «source sûre» qui prouverait que «ces massacres ont été l’aboutissement d’une politique délibérée» de l’État ottoman; nulle part elle ne répond aux arguments présentés dans le DVD, par exemple l’impératif de sécurité nationale posé par les révoltes des nationalistes arméniens, en 1914-1915, les exemptions de déplacement forcées accordée aux Arméniens vivant dans des provinces peu ou pas concernées par ces insurrections, ou encore la répression, par l’État ottoman des agissements criminels contre des Arméniens (1397 condamnations entre 1915 et 1917).
Comme argument d’autorité, Mme Prezioso invoque le pape actuel. Nous ne savions pas qu’il était historien! Jusqu’à plus ample informé, nous trouvons plus crédible Benoît XV, pape de 1914 à 1922, qui avait à sa disposition de nombreuses sources. Or, il a demandé aux Britanniques, en 1920, la libération de plusieurs ex-dignitaires ottomans incarcérés à Malte et soupçonnés de violences à l’égard des Arméniens, notamment l’ancien chef du gouvernement Sait Halim Pacha. Ils ont fini par être libérés, faute de preuves, en 1921.
Encore plus confuse est la référence au retrait de la Turquie de la Convention d’Istanbul contre les violences familiales. Nous regrettons nous aussi ce retrait, mais que vient-il faire ici? Mme Prezioso rejetait-elle la qualification de «génocide arménien» en 2011, quand M. Erdogan signait et faisait signer cette convention?
De même, nous n’avons pas d’objection à la formule «Nous sommes tous des Arméniens». Nous ajoutons seulement ceci: «Lesquels?» Le patriarche arménien d’Istanbul Sahak Mashalyan qui s’est prononcé très nettement contre la déclaration de M. Biden?
En conclusion, nous ne pouvons que répéter que les passions politiques nuisent par nature à l’histoire. Et nous invitons courtoisement Mme Prezioso à se pencher sur l’alliance entre la Fédération révolutionnaire arménienne et l’Italie mussolinienne, un de ses sujets de prédilection.
* Fédération des associations turques de Suisse romande
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L’invité – Les passions politiques nuisent à l’histoire