Tout s’accélère. Et pourtant, nous procrastinons, repoussant à plus tard ce que nous savons urgent. La guerre en Ukraine n’a fait que souligner notre dépendance dangereuse aux hydrocarbures fossiles, contrôlés par des États voyous et convoités par les régimes autoritaires et illibéraux. En sortir prendra du temps, nécessitera beaucoup d’investissements et un savoir-faire politique particulier pour atténuer les chocs qu’imposera la cure de sevrage.
Si cette guerre pouvait avoir une seule vertu, c’est d’avoir démontré qu’une transition écologique rapide nous libérerait du chantage des rois du pétrole et du gaz et nous mettrait à l’abri des conséquences les plus dramatiques du réchauffement climatique si celui-ci n’est pas maîtrisé à temps. Ce lundi, les experts du GIEC préciseront les choix qui nous restent. Deux hypothèses peuvent être formulées. La première: face à l’envolée des prix du pétrole et du gaz, les pays suspendent les taxes et réduisent leurs investissements (subventions) pour le développement des énergies renouvelables, histoire d’épargner le porte-monnaie immédiat des consommateurs. Ce sont, en gros, les recommandations du lobby du pétrole, relayées par l’UDC en Suisse et une partie des partis bourgeois.
La seconde hypothèse: les pays décident d’accélérer les investissements dans les énergies renouvelables. La période dite de transition, qui favorisait le gaz comme énergie de substitution rapide au charbon, est raccourcie par une accélération de l’électrification du système énergétique et le lancement à grande échelle d’une infrastructure de stockage fondée sur l’hydrogène «vert» (produit à partir de sources renouvelables).
Les marchés financiers semblent privilégier la seconde hypothèse. Mais ils ont hésité. Dans un premier temps, au moment de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le prix de la tonne carbone sur le marché européen s’est effondré, passant de 98 euros à 50 euros. Anticipant en quelque sorte un assouplissement des droits de polluer facturés à l’industrie (plus on baisse les quotas, plus le prix augmente et inversement). Mais cela ne s’est pas produit. Les gouvernements ont tenu bon et ont compris que les revenus de la taxe C02 pourraient être redistribués à la population ou soutenir les investissements dans les énergies propres. Bien sûr, la tentation est grande de suspendre le mécanisme qui fixe le prix du carbone en Europe et auquel la Suisse s’est finalement ralliée. L’Union européenne semble déterminée à consolider un mécanisme qu’elle a mis beaucoup de temps à perfectionner et qui est aujourd’hui crédible.
«Le marché anticipe une accélération des investissements verts.»
L’UE est certes sous la pression de ceux qui veulent artificiellement faire baisser des prix de l’énergie alors que ceux-ci ne font que refléter une réalité physique (les coûts d’extraction des hydrocarbures sont orientés durablement à hausse) et un double enjeu économique et environnemental (plus on lutte contre le réchauffement, plus le prix du carbone grimpera). C’est ce qui explique que le prix de la tonne carbone est reparti à la hausse et se négociait autour de 80 dollars au 1er avril. Le marché anticipe une accélération des investissements verts.
Selon les experts, à partir de 120 à 150 dollars la tonne, la production d’hydrogène «vert» (un vecteur de l’énergie indispensable pour le stockage de l’électricité renouvelable et un substitut du gaz dans les processus industriels) devient compétitive avec l’hydrogène «gris» (fabriqué à partir du gaz naturel). En clair, on se rapproche du grand basculement énergétique où le renouvelable prend le pas sur les énergies fossiles. On imaginait que cette transition se déroulerait vers 2040; il est probable qu’elle intervienne vers 2030 déjà. C’est une excellente nouvelle. Comme celle tout aussi importante du plan solaire dévoilé par l’Inde.
L’humanité aura mis cinquante ans pour installer une capacité solaire mondiale qui atteindra 1 térawatt en 2022; grâce à l’Inde on devrait franchir la barre des 2 térawatts dans moins de… quatre ans selon l’agence Bloomberg. En clair, la part de l’énergie solaire devrait doubler en peu de temps. Si elle reste encore marginale (moins de 10%), son taux de croissance montre qu’elle sera dominante avec l’éolien avant 2050. Ironie de l’histoire: la folie destructrice de Vladimir Poutine a probablement précipité la fin de l’âge d’or du pétrole; un comble pour un pays qui fonde toute sa stratégie sur l’exploitation des hydrocarbures.
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La chronique économique – Les marchés parient contre Vladimir Poutine
La guerre en Ukraine va accélérer la transition énergétique alors que le lobby du pétrole espère toujours l’inverse.