Initiative «anti-burqa»Les exceptions au rapport du Conseil fédéral font débat
L’initiative acceptée le 7 mars 2021 suscite plusieurs interrogations quant à sa mise en œuvre. Les exceptions et sanctions doivent être clarifiées.

La mise en œuvre de l’initiative dite «anti-burqa», acceptée par le peuple le 7 mars 2021, est en général bien accueillie par les cantons, les partis et les associations. Les différentes exceptions prévues sont toutefois controversées, et les sanctions doivent être revues.
Le Conseil fédéral propose que la norme d’application du nouvel article constitutionnel sur l’interdiction de se dissimuler le visage dans l’espace public figure dans le code pénal suisse. Les cantons, bien que responsables de l’ordre dans l’espace public, avaient délégué cette tâche à la Confédération, souhaitant une solution nationale.
L’inscription dans un article spécifique du code pénal est majoritairement saluée par les cantons, les villes et les associations qui avaient jusqu’à jeudi pour se prononcer sur le sujet dans le cadre de la procédure de consultation.
Genève pour une loi autonome
Seul le canton de Genève est en faveur d’une loi autonome, à l’instar des Verts. Pour lui, c’est le seul moyen de prendre en compte «la nature particulièrement sensible du sujet» et de respecter les compétences cantonales. En revanche, la modification du code pénal est «coûteuse, difficile, voire impossible à mettre en œuvre».
Pour les Verts, laisser la mise en oeuvre aux cantons permettrait notamment de «prendre en compte de manière nuancée les différents points de vue et réalités». Si la mise en oeuvre nationale était malgré tout retenue, le code pénal, qui permet des peines drastiques, n’est pas le bon endroit.
Pour Opération Libero aussi, ce sont les cantons qui doivent élaborer les lois d’application nécessaires. Elle voit dans la révision proposée une menace pour l’État de droit et les obligations de la Suisse en matière de droit international public.
Nombreuses exceptions
Mais ce sont surtout les nombreuses exceptions qui donnent matière à discussion.
Le projet de loi stipule que le visage peut être dissimulé dans les lieux de culte, ainsi que pour protéger la santé, garantir la sécurité, se protéger des conditions climatiques, entretenir les coutumes locales, lors de représentations à des fins publicitaires et de rassemblements dans l’espace public, si la dissimulation du visage est nécessaire à la liberté d’expression ou de réunion ou s’il s’agit de «l’expression imagée d’une opinion».
Formulation trop générale
La formulation très générale de ces exceptions est susceptible de vider de toute substance la norme, tant leur champ d’application recouvre nombre de situations initialement visées par l’interdiction, pointe le canton de Vaud.
La définition d’une dissimulation du visage n’est pas claire non plus: «Suffit-il de porter des lunettes de soleil, un masque chirurgical, un chapeau ou tout cela à la fois?»
L’Union des villes suisses (UVS) demande de préciser les situations d’exception et de les lier à des critères, notamment pour les rassemblements dans l’espace public.
Zoug, Soleure et Zurich rejettent l’exception pour les manifestations sous sa forme actuelle, difficilement réalisable dans la pratique pour la police. Soleure demande qu’elle soit soumise à une autorisation préalable. Le canton de Berne souhaiterait une «recommandation d’exécution» afin d’éviter une érosion de l’interdiction de dissimuler son visage.
Comité d’Egerkingen
Comme l’UDC, le comité d’Egerkingen, à l’origine de l’initiative populaire, souhaite même supprimer complètement cet alinéa: la volonté du comité d’initiative était de «mettre un terme à la dissimulation du visage pour des motifs criminels» dans le cadre de manifestations. La formulation retenue laisse «trop de brèches pour la dissimulation abusive du visage».
Pour le PS en revanche, l’exception lors des manifestations est centrale. Il est indispensable que les personnes puissent participer aux manifestations de manière anonyme afin de protéger leur personnalité.
Excepter le voile intégral
À l’instar des Verts, Opération Libero demande qu’une exception soit introduite concernant le port du voile intégral pour des motifs religieux. Son interdiction serait en effet incompatible avec la liberté de religion, dit-elle, à l’instar du collectif de musulmanes féministe les Foulards Violets.
L’UDC estime quant à elle que les exceptions proposées sont inacceptables dans leur forme actuelle, car elles ne respectent pas la majorité de 51,2% des votants qui s’est prononcée pour une interdiction de se dissimuler le visage.
Cabriolet contre vélo
Les critiques suivantes formulées à l’encontre du rapport explicatif du Conseil fédéral montrent également à quel point la mise en œuvre pourrait s’avérer difficile: selon ce texte, la loi ne doit pas s’appliquer aux espaces privés, y compris aux véhicules utilisés à titre privé, tels que voitures, calèches, bateaux ou cabriolets, «indépendamment du fait que la dissimulation soit visible ou non de l’extérieur».
En revanche, la dissimulation du visage doit être interdite sur les «moyens de locomotion du trafic lent» tels que vélos, trottinettes, planches ou patins à roulettes, tout comme pour les piétons.
Pour le canton de Zoug, cette distinction est incompréhensible. Tous les moyens de locomotion doivent être traités de la même manière.
Cage d’escalier et buanderie
Selon le Conseil fédéral, les balcons, jardins, cours et espaces communs dans les immeubles collectifs ou les places de jeux sont également des espaces privés. Le fait qu’une personne voilée soit visible ou non depuis le domaine public n’entre pas en ligne de compte.
Un «no-go» pour le comité d’Egerkingen, comme pour l’UDC. Pour eux, il est «inacceptable pour la majorité en Suisse» que les locataires doivent «accepter des femmes au corps entièrement couvert» dans de tels endroits. L’UDC fustige «une zone de non-droit».
Amende: question de montant
En dehors des exceptions, celui qui se dissimule le visage dans l’espace public sera puni d’une amende. La peine maximale prévue, 10’000 francs, suscite des doutes. Le PS demande une amende maximale de 1500 francs, les Verts un montant symbolique ne dépassant pas 10 francs. Pour Operation Libero, la sanction ne doit intervenir qu’en cas de récidive.
Le canton de Zoug souhaite également fixer l’amende maximale à moins de 10’000 francs. Il demande en outre une procédure simplifiée, étant d’ores et déjà prévisible que les infractions seront commises par des touristes étrangères.
Les réponses des autres partis du Conseil fédéral n’étaient pas encore disponibles vendredi. Le PLR a demandé une prolongation du délai, le Centre ne participe pas à la consultation.
ATS
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