L'entrepreneur s'en tire, son sous-traitant est condamné
Un premier jugement met à mal la responsabilité solidaire, dans le cas des ouvriers polonais sous-payés sur un chantier des HUG.

La responsabilité solidaire, dans la théorie, c'était bien joli. Dans la réalité, c'est un principe extrêmement difficile à mettre en œuvre, comme le démontre un premier jugement du Tribunal des prud'hommes de Genève qui vient d'entrer en force. Dans l'affaire des ouvriers polonais payés 8 euros de l'heure (9 fr. 80) sur un chantier des Hôpitaux universitaires de Genève (nos éditions de janvier 2014), le sous-traitant est condamné sur toute la ligne, tandis que l'entrepreneur principal est épargné malgré son manque de diligence avéré.
Pour rappel, la responsabilité solidaire est un principe fédéral, applicable dans les secteurs du gros œuvre et du second œuvre. Il permet de poursuivre un entrepreneur principal si les conditions minimales de salaire et de travail fixées dans une convention collective de travail étendue à toute la branche ne sont pas respectées par un sous-traitant.
La justice reconnaît ici que les salaires violaient les minimums de la convention collective applicable, soit 24 fr. 68 pour un aide-monteur en 2013. Or l'entreprise principale, l'allemande Lindner Fassaden GMBH, qui obtient régulièrement des marchés en Suisse, a sous-traité une partie des travaux à l'entreprise polonaise Blato SP ZOO. C'est uniquement cette dernière qui est condamnée à payer les salaires dus, des arriérés d'environ 60 000 francs pour les quatre plaignants.
En effet, la Loi sur les travailleurs détachés, qui définit la responsabilité solidaire, est claire: l'entrepreneur principal n'est responsable solidairement qu'en dernier lieu, que «dans la mesure où le sous-traitant a été poursuivi préalablement en vain ou ne peut être poursuivi». Ce qui n'a pas été le cas jusqu'à présent, s'agissant, selon les termes du syndicat Unia, d'«une petite entreprise fantôme ayant son siège dans un appartement locatif en Pologne, qui a ignoré tous les courriers des travailleurs». Les juges estiment que le fait «que les locaux soient situés dans un appartement privé ne modifie pas le fait qu'il s'agit de bureaux accessibles (…) Rien n'empêchait le demandeur d'intenter une action judiciaire à l'encontre de Blato à son siège» polonais.
Poursuite au pays d'origine
Unia va donc devoir engager une procédure en Pologne contre Blato. Bien que celle-ci ait fait défaut dans cette première procédure, n'ayant pas produit de réponse et n'ayant pas comparu aux différentes audiences. Elle pourrait se mettre en faillite, auquel cas la responsabilité solidaire de Lindner pourrait être à nouveau actionnée en Suisse, voire en Allemagne si elle refuse de payer. Unia note qu'«après des années de procès, hypothétiquement dans trois pays européens, les travailleurs auront peut-être une chance d'obtenir paiement de leur travail».
Le secrétaire syndical Unia Yves Mugny conclut: «C'est kafkaïen, il faut rectifier la loi» (lire ci-dessous). Pour Me Christian Dandrès, avocat, «ce mécanisme de responsabilité solidaire par subsidiarité ne fonctionne pas. C'est un tigre de papier.»
Manque de diligence
Le tribunal relève cependant que si une poursuite préalable contre Blato avait été opérée sans succès, «la responsabilité de Lindner aurait indubitablement été engagée (…) Elle ne pouvait ignorer que les salaires minimaux n'étaient pas respectés.» Les juges ajoutent que «pour une société faisant régulièrement appel à des employés polonais détachés, il est surprenant, voire inquiétant qu'elle indique avoir beaucoup de difficultés à contrôler les documents remis par un sous-traitant polonais, du simple fait qu'ils soient en polonais. Ce qui dans la pratique doit arriver très régulièrement.» Dans cette affaire, les HUG, maîtres d'œuvre du chantier, ont joué les grands seigneurs et avancé les arriérés de salaires aux ouvriers sans y être obligés. Le responsable médias de l'institution, Nicolas de Saussure, affirme que Lindner n'a pas reçu de nouveau mandat depuis, mais n'a pas pour autant été mise sur liste noire. «Il serait imaginable de retravailler avec eux, mais en prenant toutes les dispositions nécessaires pour que cela ne se reproduise plus, étant donné l'historique.»
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Changement de loi?
«Il y a une faille dans ce dispositif légal, et tant qu'il n'était pas concrètement appliqué, il n'était pas possible de démontrer à la droite qu'il était inefficace», avance Carlo Sommaruga, conseiller national socialiste. Lui et la conseillère nationale Verte Lisa Mazzone déposeront une initiative parlementaire à la session de printemps pour revoir le principe de responsabilité solidaire.
Elle propose de supprimer la condition de poursuite préalable du sous-traitant dans son pays d'origine, trop aléatoire. «Même quand il ne s'agit pas d'entreprises sous-traitantes étrangères fantômes», il est très difficile d'établir «des faits qui se sont déroulés en Suisse pour un tribunal étranger». De même, il apparaît complexe de faire appliquer correctement le droit suisse «par la justice de pays tiers qui ne connaissent ni nos langues officielles ni notre ordre juridique». Le texte pointe enfin «la corruption ou la prise d'influence sur la justice qui sévit dans bien des pays européens d'où viennent les travailleurs détachés».
L'initiative propose à la place d'inverser le système de responsabilité subsidiaire actuel. «Il faut permettre d'emblée le droit pour les travailleurs détachés d'agir en justice en Suisse à l'encontre de l'entrepreneur principal. Il n'y a pas de raison de faire supporter le risque aux travailleurs détachés, mais bien plus à l'entrepreneur qui a choisi de sous-traiter à une entreprise étrangère.»
Le texte mentionne que les entrepreneurs solidairement responsables peuvent se prémunir contre ce risque par le biais d'une assurance, ou de garanties financières contractuelles avec le sous-traitant, voire de retenues de certains versements en cas de condamnation.
Ce serait donc à l'entrepreneur principal de poursuivre ensuite le sous-traitant indélicat, et non plus au travailleur détaché.
Le Conseil national a une année pour traiter l'initiative. Reste à trouver une majorité politique pour ce changement, sachant que «le PLR, le PDC et l'UDC ne souhaitent pas renforcer les mesures d'accompagnement» dont cette loi fait partie, prévient Carlo Sommaruga.
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