L'éloge de la lenteur selon Gustave Roud
Le Lausannois Bruno Pellegrino imagine dans le magnifique «Là-bas, août est un mois d'automne» ce que fut le quotidien du poète Gustave Roud.

Bruno Pellegrino est né en 1988. Il vit résolument avec son époque, n'aurait pas voulu grandir à une autre, aime voyager. Dans son premier livre, le remarqué Atlas Nègre, son héros, la vingtaine assoiffée d'horizons lointains, emmenait ainsi un lecteur conquis dès les premières pages à Madagascar, Moscou puis Tokyo. Dans le roman qu'il vient de publier, le jeune auteur lausannois, également coauteur de la série Stand-by, a pourtant choisi de se plonger dans le quotidien du poète vaudois Gustave Roud (1897-1976), qui n'a presque pas quitté la Suisse et habité toute sa vie avec sa sœur, dans leur maison de famille de Carrouge.
«J'ai découvert Gustave Roud à l'Université. J'ai d'abord été fasciné par ses photos, puis j'ai lu son journal, qui m'a littéralement happé. Enfin, avec sa sœur Madeleine, le projet a pris une autre tournure. Ce personnage, sur lequel on a beaucoup moins d'informations, a transformé la figure de fascination assez lointaine de Roud en une idée de roman», raconte-t-il. Le récit est donc librement inspiré de la vie du poète, un narrateur vient régulièrement le rappeler. Il n'en reste pas moins très documenté (lire encadré).
Dans Là-bas, août est un mois d'automne, le jeune auteur aurait pu se pencher sur la trajectoire de Gustave Roud jeune, dans les années 1930, alors qu'il commence à être reconnu comme poète, mettre en avant son activité de secrétaire de rédaction à la revue Aujourd'hui, dirigée par Ramuz et éditée par Henry-Louis Mermod. Ou son amitié avec le peintre René Auberjonois, comme plus tard son influence sur Chappaz, Chessex ou Jaccottet. Ou encore décortiquer le contenu de ses proses poétiques.
«Éprouver l'épaisseur des jours»
Bruno Pellegrino a choisi de cueillir le poète bien plus tard, à partir de 1962, à la soixantaine passée. L'écrivain habite toujours dans la maison de sa famille, en compagnie de Madeleine, son aînée de quatre ans. D'emblée, le livre instaure un temps de la lenteur, qui répond à cette capacité du frère et de la sœur à «éprouver l'épaisseur des jours.»
Une vie qui fascine le jeune auteur. «J'ai le fantasme d'une espèce de lenteur. Même si, dans son journal, Gustave Roud se plaint aussi de ne pas avoir le temps, il porte une attention aux choses qui me fait parfois envie, et qui, pour moi, n'est possible que lorsque j'écris.»

Contemplatif et poétique, le texte déroule d'une belle plume la vie du duo. Voilà Roud dressant l'inventaire des multitudes de plantes du jardin qui vont tirer leur révérence avant l'hiver, assis à son bureau, ou lancé dans une promenade dont il ne reviendra peut-être que le lendemain. Diplôme universitaire en poche, le poète aurait pu devenir professeur ou pasteur. Le livre esquisse au contraire une existence avec peu de moyens. «Il a choisi une vie précaire. La chose la plus importante pour lui, c'était la poésie, et il s'y est tenu.»
Deux chouettes shootées au thé
Madeleine, que l'auteur dote d'une fascination pour la conquête spatiale héritée de son père, aurait aussi pu faire des études: «Elle a préféré cette vie, perpétuer ce qui existait, s'occuper de cette maison de famille. Je suis sûr en tout cas que Gustave n'aurait pas pu fonctionner sans elle.»
Voilà donc le binôme, vivant avec une affection aux manifestations retenues, comme «deux chouettes endormies qui se shootent au thé», seules survivantes dans la maison de famille trop vaste. Véritable personnage de ce récit, la bâtisse abrite «plus de tiroirs que de jours dans l'année pour les ouvrir». Car on y garde précieusement tout ce qui a appartenu aux occupants successifs. Et quand il s'agit d'en rogner une extension pour faire passer la route goudronnée, Madeleine se bat bec et ongles pour l'éviter.
Le livre évoque aussi Roud photographe, ses clichés de vigoureux paysans à torse nu. Ces corps qu'il a désignés dans ses poèmes sous le nom de l'Aimé. Dans le roman, son orientation sexuelle, que le poète mentionne dans ses écrits intimes de manière allusive, est posée d'emblée: «Gustave s'enflamme et brasse les photos par centaines, elles retombent en pluie autour de lui, et c'est à cela qu'elles servent, c'est pour cela que depuis toujours il photographie des hommes presque nus: pour s'enflammer, et parvenir à passer l'hiver.»
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