Notre histoireLe trait de Godefroy marque la presse satirique
Les Genevois lisaient «Le Carillon», journal illustré par Auguste Viollier dit Godefroy.

Sans remonter jusqu’à Rodolphe Töpffer, on trouve à Genève un dessinateur qui fait sourire. Moins connu que l’illustre pionnier genevois de la bande dessinée, Auguste Viollier dit Godefroy marque de son trait à la fois doux et malicieux le dessin de presse aux alentours de 1900. Des journaux aujourd’hui disparus ont bénéficié du talent de ce fils de pasteur. Citons entre autres «Le Sapajou» et «Le Passe-Partout». Un grand album parvenu récemment entre nos mains – «Le Carillon de Saint Gervais 1893» – est entièrement illustré par lui. Il s’agit d’un florilège des meilleurs dessins parus cette année-là dans cet hebdomadaire satirique genevois en vie de 1854 à 1899.
Les sujets de plaisanterie en 1893 font rarement mouche cent trente ans plus tard. Souvent le contexte nous échappe. On admire surtout l’ampleur du dessin, son style, avant d’en comprendre la portée humoristique. La vue du Rhône à Chèvres, avec ses trois personnages dont deux à bord d’un canot à rames, éveille l’admiration par son harmonieuse composition et la beauté d’un paysage reconnaissable. Un ingénieur qui pourrait être Théodore Turrettini dit à un élu en balade: «Puisqu’il n’y a pas moyen de turbiner à Chèvres, mon cher député, nous allons nous installer au Canada.» Allusion faite à la future usine hydroélectrique de Chèvres, dont l’emplacement ne semble pas avoir été facile à trouver. Le Canada n’est autre qu’un lieu-dit tout proche situé à Vernier.
Un autre dessin de cet album fait rire d’une prolongation prévue du service militaire obligatoire. Celui-ci devient «le service militaire à perpétuité». «On nous annonce que le projet de loi sur l’augmentation du service militaire vient d’être modifié. Le service dans l’élite [la classe d’âge la plus élevée dans l’armée suisse] serait porté à quatre-vingt-dix ans (mois de nourrice compris).» L’allure des soldats, tous bedonnants, l’un cul-de-jatte, est éloquente. On aime aussi «Une soirée à la rue des Granges» ou «Flirtage voyouto-démocratique à la veille de l’élection au Conseil national». Cette scène de «corruption démocratique» montre des ouvriers en bleu de travail choyés par des gens de la haute à des fins électorales.
Du sel et du mérite
On pourrait citer d’autres dessins, tous assez bon enfant, dont Auguste Viollier est l’auteur. Son succès est tel que dès 1889, les albums annuels du «Carillon» commencent à paraître. «La Tribune de Genève» du 22 décembre 1889 annonce: «Tous nos lecteurs connaissent les spirituels croquis politiques dont le dessinateur Godefroy illustre chaque semaine «Le Carillon». À quelque parti qu’ils appartiennent, ils savent en apprécier le sel et le mérite. Mais beaucoup de personnes regrettaient que ces dessins qui résument en quelque sorte l’histoire politique de notre canton, disparaissent sans laisser de trace. C’est pour répondre au désir d’un grand nombre d’amateurs que «Le Carillon» vient d’avoir la bonne idée d’éditer un album luxueux et d’un format commode, contenant tous les dessins de 1889.

À ses débuts en 1854, sous l’impulsion de son fondateur Philippe Corsat dit Pippo, «Le Carillon de Saint-Gervais» est plutôt radical, avant de devenir démocratique (nom ancien du Parti libéral) dès 1874. Christian Martinet est alors son rédacteur en chef. On l’appelait le «Charivari suisse» par allusion à son modèle parisien, le «Charivari», considéré comme le premier quotidien illustré satirique du monde. Sa longévité – de 1832 à 1937 – est remarquable. Il eut Honoré Daumier parmi ses caricaturistes. Le roi Louis-Philippe au visage en forme de poire y fit les frais de son impitoyable coup de crayon.
«Tous nos lecteurs connaissent les spirituels croquis politiques dont le dessinateur Godefroy illustre chaque semaine «Le Carillon.»
Qui était cet Auguste Viollier (1854-1908) auquel la rue Viollier ne rend pas personnellement hommage? Cette famille genevoise a connu d’autres personnalités plus anciennes auxquelles cette voie doit son nom. Leur descendant avait un pied à Genève et un autre à Paris, où son métier de peintre avait pris corps au contact de Jean-Léon Gérôme, chef de file de la peinture académique honnie par les avant-gardes du XXe siècle. À Paris, «L’Illustration» et «Le Rire» publient ses dessins. Son premier pseudonyme Godefroy de Georgina fleure bon la fin de siècle. C’est Godefroy qui prend le dessus en guise de signature au bas de ses dessins et de ses affiches magnifiques, dont celle des Chemins de fer électriques du Salève (1894), qui détaille avec une grande élégance les différentes étapes de la montée de ce train inauguré en 1892.
Auguste Viollier trouve la mort à seulement 54 ans, alors qu’il quitte à bicyclette le quartier de Frontenex où il réside, pour se rendre à vélo avec sa femme et sa fille à Yvoire. Il est tué par le tramway arrivant de Vandœuvres, à la hauteur du croisement avec le chemin de la Gradelle.

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