Fin d’une aventureLe Théâtre Töpffer tire sa révérence
Le rideau tombe sur trente ans de spectacles pour enfants produits dans le quartier de Florissant. Retour sur une saga familiale digne d’être portée sur ses planches.

C’est ce qu’on appelle une entreprise familiale, et des plus rocambolesques avec ça. Le Théâtre Töpffer est en effet indissociable des deux générations de Gabioud qui le portent à bout de bras depuis 1994. Mais quelle tribu! À elle seule, elle mérite un détour. Prenez cette originalité, pour commencer: trois prénoms seulement désignent les cinq membres de la dynastie – Joseph (père et fils), Maja mère et Maya fille, et un Maurice unique en son genre, l’artiste de la lignée.

En 1954, Joseph Ier et son épouse Maja fondent le Lycée Töpffer sis avenue Eugène-Pittard dans le quartier de Florissant. L’établissement privé accueille, en internat comme en externat, des élèves dès 10 ans qui se préparent au baccalauréat. Au décès du papa, en 1988, son épouse assume seule la direction de l’école, jusqu’à ce que Joseph Junior reprenne la main en 1992, avec l’aide de sa sœur Maya (par ailleurs apicultrice – ça ne s’invente pas!) à l’administration.
L’enfant prodige
Début des années 1990, c’est aussi le retour au bercail du fils prodigue Maurice, que ses formations de danseur, musicien, chanteur lyrique, metteur en scène et peintre avaient lancé sur les chemins de l’Europe. Ses tournées avec la Compagnie de Roland Petit ainsi que son expérience de choriste à l’opéra de Hanovre, notamment, en ont fait un créateur complet. Ayant mis fin à sa carrière internationale, il ouvre avec sa maman un Théâtre poétique pour enfants et adultes, qui n’a de Töpffer que sa localisation dans le jardin de l’école – et sa sujétion au royaume des Gabioud.

Le décès de Maja, à l’âge vénérable de 97 ans, intervient le 4 avril dernier. Privé de son principal soutien et lassé de ses vains efforts pour décrocher des subventions publiques, l’orphelin de 59 ans vient de décider de poser les plaques. Ce dimanche après-midi aura lieu la toute dernière représentation de «Robinson Crusoé», la 29e et ultime de ses adaptations de contes, fables et légendes. Elle sera dédiée à «l’âme du théâtre», «sa flamme toujours allumée et brillante», celle sans qui ni la scène ni le Lycée n’auraient vu le jour. Ni l’inconsolable Maurice du reste, qui, désormais, compte se consacrer exclusivement à la réalisation de ses peintures naïves et décors.
«Votre fabuleux petit théâtre continuera à vivre dans nos souvenirs.»
«Nous avons le cas d’une grand-mère qui venait avec ses petits-enfants, mais qui a continué à nous fréquenter assidûment une fois qu’ils étaient devenus grands», témoigne Maya, l’abeille à tout faire. C’est que le patron a de l’exigence. Outre assurer à fois le texte, la direction d’acteurs, le jeu et la scénographie – assisté d’une fidèle équipe technique –, l’homme a toujours tenu à ce que ses productions s’adressent autant aux parents qu’à leur progéniture. Notamment au travers des «petites morales» qu’il ne manquait pas de dégager de «Farinet», «Coppélia», «Heidi» et autres «Guillaume Tell», afin de les livrer à son audience transgénérationnelle.

Portés par une troupe régulière de cinq comédiens «plus ou moins professionnels» à laquelle s’ajoutaient des figurants, des enfants, des musiciens ou des danseurs, les spectacles lorgnaient également du côté de l’opéra, un domaine que maîtrise bien notre Maurice. Parmi les titres du répertoire, une «Cendrillon» et une «Flûte enchantée», par exemple, puisent respectivement aux œuvres lyriques de Jules Massenet et de Mozart. Ce qui a inspiré à un habitué: «Voici une remarquable initiation aux futurs spectateurs du Grand Théâtre».
«Laissez-nous rêver encore et encore dans une si belle ambiance, pour le plaisir des petits et des grands!» lit-on ailleurs dans le livre d’or qui se referme. «Et tant qu’il y aura de jeunes spectateurs devenus vieux qui, fermant les yeux, diront «je me souviens…», votre fabuleux petit théâtre continuera à vivre», surenchérit la lettre d’une aficionada. Avant que le silence ne retombe définitivement sur les applaudissements, la cheville ouvrière qu’est Maya Gabioud lira quant à elle sa propre oraison dimanche. «Le Théâtre Töpffer n’existera plus que par nos riches souvenirs», conclura-t-elle.
«Robinson Crusoé», dès 4 ans et demi, jusqu’au 21 mai à 15 h 30 au Théâtre Töpffer, www.theatre-topffer.ch
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