Le parlement se déchire sur les milliards du ciel
Les retombées économiques liées à l'achat de nouveaux avions de combat cristallisent les débats. L'industrie romande veut sa part du magot.

C'est le premier gros morceau de la nouvelle législature. Ce lundi après-midi, le Conseil national empoigne le dossier de l'acquisition de nouveaux avions de combat. Malgré la poussée des Verts – seul parti opposé à cet achat – la majorité bourgeoise devrait suivre le projet du Conseil fédéral et voter l'enveloppe de six milliards destinés à renouveler la défense aérienne. Un point sera toutefois âprement disputé. «Les affaires compensatoires», reconnaît Thomas Hurter (UDC/SH), rapporteur de commissions. Ou dit de façon plus simple: les retombées économiques que peut attendre l'industrie suisse de cette acquisition.
Car c'est une tradition en Suisse, en cas d'achat d'armement à l'étranger, des compensations de la part du fournisseur sont exigées au travers de contrats avec des entreprises locales. Mais ces affaires compensatoires ont un défaut. Selon le Conseil fédéral, elles renchérissent les prix. Le Département de la défense parle de surcoût allant jusqu'à 20%. C'est pour cela que Viola Amherd, conseillère fédérale chargée du dossier, a décidé de limiter ces contrats à 60% du prix d'achat. En passant de 100 à 60% d'affaires compensatoires, les économies réalisées permettraient ainsi d'acheter un ou deux avions supplémentaires avec l'enveloppe de six milliards.
Mandats étendus
Ces arguments, le Conseil des États les a balayés en septembre dernier. Il a contraint la ministre à revoir sa copie et à revenir à 100%. La majorité a même étendu les mandats à onze domaines indirectement liés à la défense et à la sécurité, afin que de larges pans de l'économie puissent profiter de cette manne. Ainsi, l'industrie des machines, l'horlogerie, l'aéronautique ou la coopération avec les hautes écoles spécialisées (HES) devraient aussi pouvoir se partager le magot.
Dans cette décision, les Romands – qu'ils soient de gauche ou de droite – ont pesé de tout leur poids. «Avec 60% d'affaires compensatoires, les entreprises romandes n'auraient eu aucune chance d'accéder aux compensations», écrit le Groupe romand pour le matériel de défense et de sécurité (GPRM). Les géants alémaniques, que sont Ruag, Rheinmetall ou Thales, s'empareraient de la quasi-totalité du magot. Quant au surcoût supplémentaire, le GPRM rétorque par une étude de l'Université de Saint-Gall qui parle d'une légère hausse du prix de 2% à 3%, 5% dans certains cas.
Ce qui a aussi fait pencher la balance dans la Chambre des cantons, c'est une lettre de la Conférence des chefs de département de l'économie publique de Suisse occidentale, la CDEP-SO. «Par sa décision de plafonner les affaires compensatoires à 60% du total, le Conseil fédéral sous-estime (…) le risque politique important inhérent à la votation populaire. Sans perspective de bénéficier économiquement des milliards investis dans ces acquisitions, d'importants pans de l'industrie ne soutiendront pas activement le projet d'acquisition», peut-on lire dans cette missive que nous nous sommes procurée.
100% ou 60%? C'est sans doute entre ces deux versions que devra trancher le National. La commission préparatoire plaide pour la solution du Conseil fédéral. «Les entreprises suisses ne peuvent pas absorber plus de contrats», estime Werner Salzmann (UDC/BE), qui présidait alors la Commission de politique de sécurité. Les partisans de cette solution ne croient pas non plus qu'un pourcentage plus élevé permette de faire la différence en votation. «Lors du vote sur le Gripen, il y avait 100% d'affaires compensatoires, et cela n'a pas empêché les Romands de voter contre», rappelle Thomas Hurter.
«Alors que la question de principe porte sur la nécessité d'acheter de nouveaux avions de combat, on en fait un instrument de promotion économique»Lisa Mazzone, Verte genevoise
Risques de corruption
La gauche, elle, tentera de réduire encore plus ces affaires compensatoires, voire de les supprimer totalement, craignant notamment des risques de corruption. Car contrairement aux sénateurs qui défendent leurs cantons et les industries, les élus Verts et socialistes du National ont une vision bien plus politique de l'affaire. «Alors que la question de principe porte sur la nécessité d'acheter de nouveaux avions de combat, on en fait un instrument de promotion économique, où tout le monde se sert, s'indignait Lisa Mazzone (Verts/GE) en septembre dernier, lorsque le Conseil des États s'était emparé du dossier. À se demander si l'on souhaite acheter des avions pour des raisons de sécurité ou pour accorder des subventions indirectes.»
Reste que toutes ces discussions remontent à avant le renouvellement du parlement. Depuis, tant Lisa Mazzone que Werner Salzmann ont quitté le National pour les États. Autant dire que beaucoup de choses pourraient encore bouger en plénum, même si l'idée d'un compromis à 80% pourrait mettre un maximum d'élus d'accord.
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