L’économie des médias et des plates-formes nous enseigne qu’à l’ère numérique, la ressource la plus désirable et la plus rare est l’attention. L’extraordinaire succès de l’application TikTok (1 milliard d’utilisateurs actifs dans le monde, dont 150 millions en Europe) tient tout à la fois aux caractéristiques de ses vidéos au format court, que l’on fait défiler à toute vitesse, et de son algorithme. Le temps de visionnage est devenu le KPI («Indicateur de performance») le plus important devant les partages, commentaires et autres likes.
À tel point que, mesurant les risques de cette concurrence, les acteurs américains que son Meta (Instagram, Facebook) et Alphabet (YouTube) ont adopté le format court avec les «reels», créant de véritables «tunnels vidéo» souvent dénoncés comme la nouvelle forme d’abrutissement de la jeunesse. Dans un dossier de trois pages consacré au marketing de l’influence, le quotidien «Le Monde» du 5 avril parle d’addiction pour évoquer ce «swipe» ou balayage du pouce vers le haut. Le triomphe du format court serait aussi celui d’un nouvel écosystème numérique et d’une nouvelle guerre d’influence entre les États-Unis et la Chine.
Deux sociétés, l’agence BB Switzerland et Click Analytic, expertes dans le développement de stratégie marketing et digitale, ont dévoilé fin février une étude fouillée de l’influence en Suisse à travers l’analyse des spécificités et usages de trois plates-formes: TikTok (84’000 créateurs de contenus), Instagram (30’000) et YouTube (4’500). Tout réseau confondu, observe l’étude, «la parité est presque parfaite entre les influenceurs.euses helvètes: 49,81 de femmes et 50,19% d’hommes, dont 74% âgé.e.s entre 18 et 34 ans». Défini.e comme un.e créateur.rice de contenus, l’influeuceur.euse utilise son image pour mettre en avant des produits ou des services.
«Le triomphe du format court serait aussi celui d’un nouvel écosystème numérique et d’une nouvelle guerre d’influence.»
Outre le fait de servir d’interface pour les marques, principalement horlogères en Suisse comme le montre l’étude, le marketing d’influence repose sur la taille du réseau. On parle de micro-influenceurs.euses pour une «fanbase» (audience de fans) inférieure à 50’000 abonné.e.s et de macro-influenceurs.euses pour une fanbase supérieure à 50’000. Or, comme l’observe avec pertinence l’enquête de BB Switzerland et Click Analytic, un nouvel indicateur de performance prend de l’importance tant aux yeux des marques que du public: le score moyen d’audience authentique (AAS), qui révèle la qualité générale des followers, notamment l’existence de faux comptes, l’achat de «fanbase» par des influenceurs.euses qui cherchent à faire grandir leur audience… en trichant.
Le déclin de la publicité traditionnelle au profit du marketing d’influence s’accompagne d’une tentation, celle de maquiller les statistiques pour rendre la vidéo plus désirable et séduire les annonceurs en ligne. Ces derniers ne sont toutefois pas dupes. La crédibilité des influenceurs.euses tout comme la transparence sur les statistiques requièrent une rigueur accrue pour que la poule aux œufs d’or ne fonde pas comme neige (ou chocolat) au soleil. La valeur normative du message – la morale de toute «story» – pourrait ainsi devenir le KPI qui garantit un minimum d’intégrité dans un océan de pratiques digitales douteuses. Un label de qualité en quelque sorte. Mirage ou miracle? En cette période de Pâques, que ce soit sur TikTok, Instagram ou YouTube, on veut bien y croire.
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Planète Réseaux – Le marketing d’influence en Suisse