Le gardien de phare qui toise la ville
Des travaux aux Pâquis offrent aux métiers de «grande hauteur» des vues imprenables. Visite de chantier haut perché.

Il aurait aimé sans doute cette pièce maîtresse de notre modernité bâtisseuse. Lui, c'est (c'était, mort en 1906, paix à son âme) le Dr Alfred Vincent, ancien directeur du bureau de salubrité et professeur d'hygiène à l'Université. Dans la rue qui porte son nom, aux Pâquis, une grue flambant neuve trône depuis maintenant un an et deux mois.
Devant soi, un fût et une flèche surplombant les toits. A l'intérieur de la structure, une échelle à sections multiples et des paliers de repos. Il est 7 h du matin, un jour de semaine. Une silhouette humaine gravit les barreaux un à un. Prise de travail ascensionnelle. Arnaud, le grutier, prend ses marques. Son «bureau» est une cabine vitrée de deux mètres carrés au jugé, une boîte cylindrique sans angles droits placée à plus de 50 mètres de hauteur.
Une fois à l'intérieur, Arnaud se cale dans son siège, vérifie les voyants lumineux de son tableau de bord comme un pilote d'avion, allume sa radio, place ses mains sur les manettes et se concentre. Sa journée de «machino» des airs peut commencer.
Un roi du monde
La fiche psychologique de ce métier qui fait de celui qui l'exerce un solitaire intouchable, un roi du monde par tranches de quatre heures, en comptant la pause de midi, est détaillée au sol par Mathieu, le responsable du chantier. «Du sang-froid et de la précision, c'est ce que l'on exige du conducteur de la grue, explique-t-il. L'engin est en service depuis juin 2016. Il culmine à 15 mètres au-dessus du chantier et des immeubles voisins. La grue était opérationnelle lors des six mois de démolition du bâtiment; elle est toujours là pour appuyer les étapes de la reconstruction, impliquant une rénovation et une surélévation. C'est un chantier complexe et passionnant: 68 logements de haut standing verront le jour à cette adresse. Ils sont déjà pratiquement tous vendus.»
«C'est de la cadence, la journée va vite.»
On n'est pas là pour commenter la «gentrification» galopante d'un quartier populaire, mais pour parler de ces corps de métier qui opèrent en «grande hauteur». Parole de grutier, revenu boire son café avec le commun des mortels: «Une fois qu'on a fait ses preuves, on ne redescend plus, raconte Arnaud en souriant. Moi, j'aime la cabine, parce que c'est de la cadence, la journée va vite, on n'arrête jamais, sauf pour manger et aller aux toilettes.»
C'est le seul point noir, relève-t-il: l'absence de WC chimiques. «On a la climatisation; à partir de 60 mètres, on installe des ascenseurs, mais tous les soirs on redescend avec sa bouteille ou son sac à urine. Certains confrères se plaignent parfois de la solitude. Ce n'est pas mon cas, même si, c'est vrai, le grutier ne parle que de travail du matin au soir, les communications sont techniques, il n'y a pas d'échange permettant de se changer les idées.»
Il gratte la tête de la ville
Mathieu, l'homme-orchestre, un costaud à la hauteur naturelle, joueur de rugby à ses heures sportives, dirigeant jusqu'à 60 ouvriers et chefs d'équipe au plus fort des travaux, confirme la singularité de ce job qui gratte le ciel: «Le grutier, c'est vraiment le poste à part dans les métiers du bâtiment.»
Il a un camarade d'altitude, le couvreur, proche aussi du soleil. Trop parfois, quand la canicule s'en mêle. «On doit étanchéifier, isoler et couvrir une surface de 700 mètres carrés, explique l'un d'eux. Les risques de déshydratation sont bien réels. Les journées de forte chaleur, on fait une pause chaque heure pour boire, se rafraîchir, se mettre au frais. Sur notre lieu de travail, l'ombre est inexistante et le chalumeau, l'outil principal du couvreur, rajoute encore de la charge thermique.»
Travailler été comme hiver en terrasse panoramique, c'est beau, mais ça se mérite!
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.