Monteverdi mis en scène par FC BergmanL’atterrissage périlleux d’Ulysse au Grand Théâtre
«Il ritorno d’Ulisse in patria» déboule dans un aéroport. La bonne idée de départ peine à prendre son envol, mais les héros vieillissants sont admirables.

Lieux de départs et d’arrivées, de retrouvailles et d’adieux, d’attentes interminables, les couloirs aseptisés des aéroports font partie de notre quotidien d’humains, que l’on soit sédentaire, parent, réfugié, congressiste ou touriste. Alors que tout grand voyageur est contraint par ce passage obligé, pourquoi pas Ulysse à son retour d’Odyssée? Et pourquoi ne pas faire de ce palais lisse et glacé la salle d’attente d’une Pénélope de 2023? «Il ritorno di Ulisse in patria» de Claudio Monteverdi est à l’affiche depuis le 27 février au Grand Théâtre de Genève, mais le décor du plateau est plutôt celui de Cointrin que de la place de Neuve!
«Pourquoi ne pas faire de ce palais lisse et glacé la salle d’attente d’une Pénélope de 2023?»
L’idée du collectif FC Bergman impose donc à cet opéra de 1640 ce lieu iconique de la modernité, reconstitué dans ses moindres détails par Luc Joosten: rangées de fauteuils gris, grand escalier roulant menant à la galerie, carrousel des bagages et, au fond, le sas de sécurité. Pour qui a déjà passé une nuit d’errance dans ces labyrinthes stériles, le poids de l’attente, la fatigue des décalages horaires, la tension des affichages qui décident de votre destin convoquent un vécu immédiatement parlant.
Une cour en transit

C’est dans ces limbes que Pénélope (Sara Mingardo) attend son mari, accompagnée par ses servantes Mélantho (Julieth Lozano) et Ericlée (Elena Zilio, octogénaire impressionante); c’est là qu’elle doit faire face aux avances libidineuses des prétendants. C’est là aussi qu’un Ulysse hagard et épuisé débarque (Mark Padmore). Mais, et la mise en scène opère ici un décalage cocasse, le héros est couvert d’algues, de coraux et de coquillages (étonnants costumes et accessoires de la Lausannoise Mariel Manuel); le premier être vivant qu’il voit est Minerve (formidable Giuseppina Bridelli) dans son accoutrement mythologique, puis Eumète (épatant Mark Milhofer), le berger, lequel garde sa chèvre au pied de l’escalier roulant, et enfin son fils Télémaque (Jorge Navarro Colorado, radieux), descendant tout armé de son char!

Ce télescopage temporel, entre hyperréalisme et surréalisme, tient lieu de fil conducteur à la mise en scène de FC Bergman, avec ses trouvailles vertigineuses (le grand panneau d’affichage des vols annonce les heures d’apparition des mots amour, destin et temps dans le livret) et ses effets gaguesques. D’autres dieux mythologiques se manifesteront en mode loufoque, comme ce duel entre Neptune (Jérôme Varnier) et Jupiter (Denzil Delaere) chantant en coulisses, mais matérialisés sur scène l’un par une fontaine giclant ses jets d’eau en mesure, l’autre par une armoire électrique détraquée, crépitant d’étincelles…
En dépit de ces éléments forts et pertinents, le spectacle peine à prendre son envol. Le soufflé dramaturgique retombe en scènes répétitives, comme si l’ennui aéroportuaire gagnait finalement l’ensemble des protagonistes. L’admirable drapé musical tissé par Fabio Biondi et son Europa Galante ne parvient pas à habiter cet espace aussi vaste. Il faut dire que les raffinements exquis du continuo privilégient systématiquement la sobriété à l’exubérance.
Les coupes opérées dans l’ouvrage, si elles permettent de se recentrer sur l’action principale, passent sous silence des moments attendus, comme le personnage comique de Iro qui passe à la trappe. La scène du massacre des prétendants, quant à elle, vire au prévisible déluge d’hémoglobine sans pour autant gagner en puissance.

Dominant une distribution inégale, Sara Mingardo incarne une Pénélope bouleversante dans sa vaillance et sa fragilité. La contralto italienne subjugue par la noirceur de son timbre, son économie de moyens et une présence scénique qui rend les prétendants presque insignifiants. Incarnant dès le prologue l’humaine fragilité, Mark Padmore touche aussi en Ulysse vieillissant. Le ténor anglais fait une prise de rôle tardive, mais qui sonne juste dans le propos des metteurs en scène belges. La voix n’est plus aussi fraîche qu’avant, mais la diction, l’expressivité, la sagesse et la lassitude fascinent, jusqu’à son merveilleux duo d’amour final avec une Pénélope enfin lyrique et apaisée.
Genève, Grand Théâtre
Ma 28 février, je 2 mars, ve 3, di 5, ma 7
www.gtg.ch
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