Prix d’architecture (3/10)L’art de vivre ensemble au milieu des herbes
Les Jardins de la Gradelle, sur la commune de Cologny, jouent de textures rappelant le végétal. Les trois tourelles semblent se fondre, tels des arbres, dans le paysage.

À proximité de l’imposant quartier de la Gradelle, construit dans les années 60, de nombreux projets immobiliers sont sortis de terre ces dernières années. L’un d’eux, inauguré en 2020, en bordure de la commune de Cologny, retient tout de suite le regard. Trois pentagones de 6, 8 et 9 étages sont posés au milieu d’un grand parc aux herbes folles, laissé volontairement à l’état naturel. Point de gazon bien taillé ici. À l’image du terrain, les immeubles ont un petit look déstructuré, sauvage.
«L’intention était de faire un ensemble qui s’inscrit parfaitement dans la nature, et même qui la rappelle; cette dimension organique a été le fil conducteur du projet», explique l’architecte de cette réalisation, Rolf Seiler, du bureau LRS (Lin.Robbe.Seiler). Beaucoup d’éléments sont un clin d’œil au végétal. Les façades sont en bois et en aluminium plié, ce qui donne à l’ensemble un jeu de textures accentué par les rayons du soleil. Les généreux balcons sont bordés de fins barreaux asymétriques qui, par effet optique, semblent faire vivre les immeubles. Les balcons eux-mêmes sont en décalage dans leur empilement, rappelant avec leur forme légèrement pointue des branches d’arbres désordonnées.

À l’intérieur des pentagones, la distribution des appartements s’articule tout autour d’un «tronc» central, un hall au bénéfice d’un puits de lumière et entrecoupé d’escaliers en béton dressant des diagonales. On se dit qu’on est là encore dans la métaphore dendrologique. «Cette distribution a l’avantage de faire exister cinq appartements par étage, précise l’architecte. Cela permet de densifier conformément aux exigences de départ, tout en limitant fortement la sensation de densité.» Même si le coefficient de densification était franchement limité (coefficient 1), cet effet de légèreté étonne. Il vient aussi du fait que la forme pentagonale des bâtiments, de même que la disposition en quinconce des loggias, permettent à chacun des 96 logements de bénéficier de dégagement.


Nous sommes ici dans des logements pour une part à loyers contrôlés (LGZD), pour une autre des subventionnés (HM). Cela met le 4 pièces entre 1400 et 1700 francs pour la première catégorie, et entre 1200 et 1600 pour la deuxième. «Nous avons travaillé avec des matériaux simples, économiques, mais embellis», précise l’architecte.
Revisiter la Cité-Jardin
Allons visiter un 5 pièces au 4e étage. Un vitrage jusqu’au plancher donne l’impression de vivre avec l’extérieur, tandis que la loggia, véritable pièce supplémentaire, accentue ce sentiment de communion avec la nature. Les ouvertures visuelles sur le parc de 10’000 m2, bordé de chênes centenaires, génèrent un sentiment d’espace. Le côté ludique rendu par les asymétries de la construction se retrouve aussi à l’intérieur des appartements: toutes les pièces communiquent par une coursive extérieure, tandis que des cloisons coulissantes permettent de modifier l’agencement de certaines pièces.

Rolf Seiler définit volontiers les Jardins de la Gradelle comme une réinterprétation contemporaine de la Cité-Jardin, où il s’agit d’intégrer dans le projet architectural des espaces communautaires. «Ces pavillons compacts ont l’avantage d’un impact au sol réduit, permettant de gagner des espaces à l’extérieur pour privilégier le vivre ensemble des habitants», dit-il. Et c’est vrai que les lieux se prêtent à la sociabilité. Entre les trois immeubles est recréée une sorte de place du village. «Nous y organisons des apéros entre voisins chaque semaine, raconte le locataire du 4e. Et certains habitants songent à un projet de jardin potager.»
Les rez sont occupés par un local à vélo, tandis qu’un espace récréatif commun permet d’organiser des fêtes. Dessiné par les paysagistes Studio Vulkan, le grand parc – autrefois des terrains de tennis – fait aussi figure de terre d’aventures pour les enfants. Des jeux en bois et des vieux troncs d’arbres volontairement laissés là après la construction participent jusque dans les détails à la dimension organique de l’ensemble.

Dans l’esprit, les «Jardins de la Gradelle» ne sont pas loin de faire penser à une coopérative d’habitation. Et pourtant, tout est parti d’un terrain privé, qui aurait pu être exploité pour obtenir la meilleure rentabilité possible. Or le projet s’est fait sur concours, sans plan localisé de quartier, sans nécessité de démarche participative, parce que d’emblée le souci de qualité était affiché, explique Rolf Seiler. «Il faut rendre hommage à la famille propriétaire qui voulait une réalisation durable, respectueuse des lieux, et non pas un objet visant uniquement du rendement à court terme, dit-il. C’est suffisamment rare pour être souligné. On n’a pas toujours cette chance, mais ce genre de projet est la preuve qu’avec certaines valeurs et en se donnant les moyens, on peut faire à Genève des logements à loyers contrôlés, tout en soignant la qualité.»
Cette opération est réalisée en partenariat avec le Département du territoire.
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