Opération Thune du CœurL’ancienne brocante est devenue un lieu de répit humanitaire
Un modèle d’hébergement d’urgence en surface existe depuis juillet à Plan-les-Ouates. Il affiche complet et ne demande qu’à se développer ailleurs dans le canton. Reportage.

Il est chez lui et en est fier: «C’est ma maison, madame», lance-t-il à sa visiteuse du soir, venue faire des images de cet espace dévolu à l’hébergement d’urgence. Chez lui pour soixante jours, deux fois un mois, la durée du séjour accordée à chaque nouveau bénéficiaire quand un lit se libère au sein de la structure ouverte début juillet dans les murs de l’ancienne «renfile» du Centre social protestant.
Des hommes seuls, au nombre de 45, sans toit ni ressources, disposant d’un box individuel pour dormir, d’une bagagerie pour y déposer leurs affaires, d’une douche pour se laver. L’endroit, situé au 7, chemin de la Cartouchière à Plan-les-Ouates, porte un acronyme à trois lettres majuscules, désormais connu dans tout le canton: LRH, pour lieu de répit humanitaire. Il bénéficiera d’une partie des dons de l’opération Thune du cœur, la récolte de solidarité annuelle organisée par la «Tribune de Genève».

Se réinventer
Pareil dispositif n’existait pas, il est pleinement opérationnel. «Chez lui, c’est chez nous», répond à sa manière l’équipe des travailleurs sociaux (TS) à pied d’œuvre. Ce vaste hangar inoccupé, qui doit disparaître à l’automne 2023, «semble avoir été conçu pour nos besoins», notait le jour de son ouverture la directrice du Collectif d’associations pour l’urgence sociale (CausE), Aude Bumbacher, sans succomber à l’angélisme.
L’entreprise de plomberie sollicitée au préalable ne tombait pas du ciel. Six douches et toilettes ont été aménagées au rez-de-chaussée, en même temps que l’on installait le mobilier léger à l’étage (lits, tables de nuit et prises pour le téléphone portable).
La coordinatrice du LRH, Olivia Bornand, confirme le pragmatisme nécessaire dans la prise en main de ce lieu ressource, mis à disposition pour une période temporaire de quatorze mois. «On apprend à se réinventer chaque jour», lance-t-elle en passant du réfectoire à la cuisine, tout en saluant le travail des «collègues logisticiens».

Au début, un simple snack offert le soir. Aujourd’hui, un repas chaud, composé avec les invendus de Partage, la banque alimentaire qui fournit les denrées essentielles. «On complète au besoin, un cuisinier a été engagé, il prépare ses plats sur place, du lundi au vendredi, anticipe et conditionne les mets servis le week-end.» Les frigos sont pleins, cette cantine populaire tourne à plein régime.
D’abord on mange, après on se parle. Souvent, on fait les deux en même temps. Le répit accordé se transforme en espace communautaire. Les anciens s’improvisent à leur tour accueillants, des formes de solidarité apparaissent, l’entraide, pratiquée dans la rue, se renforce au contact du cadre protecteur offert à chacun.

Ce cadre-là, inédit dans sa localisation, excentré mais pas trop – l’arrêt de tram est à moins de 5 minutes à pied – permet de s’éloigner des mauvaises rencontres et des tentations, «des quartiers du centre-ville qui nous tirent vers le bas», lâche cet habitué des parcs publics à la belle étoile.
Homme seul, lui aussi, sans domicile et sans travail. Dans la survie depuis trop longtemps. Qui sont-ils, ces recalés, pris dans l’engrenage d’une précarité sans fin? Vous et moi, à tous les âges. «Le Covid nous a écrasés», lâche l’un d’eux, la trentaine, en recherche d’emploi. «Toutes les problématiques de la société actuelle sont ici représentées», renchérit Mohamed, travailleur social, au moment d’entamer sa veille active jusqu’au petit matin.

Cette population profondément désocialisée, pour laquelle notre ville n’a que la clandestinité à proposer, a son «Monsieur Soleil», prénom Polo, un artiste dans le recyclage du déchet végétal. Il a créé un jardin miniature sous le couvert du bâtiment, qu’il enrichit chaque jour de nouvelles trouvailles. On lui demande s’il ne craint pas l’arrivée de l’hiver. «Ce qui nous fait peur, c’est la bêtise et l’intolérance, pas le froid», répond-il.
Un courrier a été envoyé à l’ensemble des communes genevoises, afin d’identifier d’autres locaux sur le territoire genevois, dans le but d’étoffer le dispositif existant. Un unique lieu de répit humanitaire ne suffit pas. «En moyenne, on refuse une vingtaine de personnes par jour», souligne Aude.
La lettre est restée, pour l’heure, sans réponse. Quel dommage. Ce lieu d’hébergement en surface est exemplaire dans son fonctionnement. Il a acquis de l’expérience, du savoir-faire et le proche voisinage se félicite de sa présence. Son ouverture inconditionnelle s’adresse également à nos élus. Et à la Thune du cœur qui, elle, a répondu, en l’assurant de son soutien.

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