Rebondissement, dix ans après le début de l’enquêteL’accusation de corruption de Gulnara Karimova vacille
Les juges doutent du rôle «d’agent public» de la fille de l’ancien maître de l’Ouzbékistan. Ce qui peut faciliter le déblocage de sa fortune en Suisse.

Enfermée depuis huit ans dans une colonie pénitentiaire en Ouzbékistan, celle qui fut présentée par la presse tabloïd comme la «princesse de Tachkent» lorsqu’elle résidait à Cologny pourra-t-elle récupérer des centaines de millions mis à l’abri en Suisse?
Une nouvelle étape dans cette direction a été franchie par ses avocats, devant la justice helvétique. Vendredi, ces derniers évoquaient «un tournant décisif» dans toute l’affaire. Grégoire Mangeat, dont l’équipe a eu un contact avec Gulnara Karimova pour la dernière fois dans sa prison à l’été 2021, dirige sa défense dans une vaste affaire de corruption ouverte il y a tout juste dix ans par le Ministère public de la Confédération.
Dans un arrêt rendu lundi dernier et dont la teneur a été rendue publique vendredi soir, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a notamment estimé que Gulnara Karimova n’était pas un agent public en Ouzbékistan.
Corruption impossible à prouver
Dans son pays, Gulnara Karimova a été condamnée en 2020 à 13 ans supplémentaires. Peu avant le verdict, celle qui fut la femme la plus puissante du pays avait offert de retourner près de 700 millions aux autorités en échange de sa libération, rapportait Radio Free Europe (RFE/RL). Mais encore aurait-il fallu qu’elle ait accès à cet argent.
Dans leur dernière décision, les trois juges fédéraux ont estimé qu’«une interprétation aussi large du rôle d’agent public ne peut être admise», contredisant une première interprétation d’un juge du Tribunal pénal fédéral. Et ce même si Gulnara Karimova était la fille aînée de celui qui dirigea le pays d’une main de fer depuis la chute de l’URSS jusqu’à mort, en 2016, qui allait précipiter la disgrâce de sa fille aînée.
«La confiscation des fonds de Mme Karimova viole sa présomption d’innocence.»
Conséquence majeure de cette appréciation: si elle n’était pas fonctionnaire, il devient difficile, voire impossible, de démontrer que les commissions – touchées par ses sociétés, par exemple sur de juteux contrats dans la téléphonie mobile – correspondent juridiquement à de la corruption. Et donc que les montants considérables mis à l’abri en Suisse par Gulnara Karimova sont bien considérés comme du blanchiment d’argent.
Parquet fédéral dénoncé
C’est ce que soulignent ses défenseurs, après cette victoire d’étape. Selon eux, cette décision marque «la remise en cause du fondement de l’accusation du Ministère public de la Confédération».
Dans une prise de position diffusée vendredi soir, les avocats Mes Grégoire Mangeat et Fanny Margairaz notent dans la foulée que la Haute Cour, située à Bellinzone, a également «constaté que la confiscation des fonds de la société de Gulnara Karimova dans une procédure annexe a violé sa présomption d’innocence».
Centaines de millions en jeu
Les procureurs fédéraux avaient ouvert en juillet 2012 une instruction pénale, d’abord contre l’assistante personnelle de Mme Karimova – un temps installée à Genève, cette dernière a également été avalée par les geôles ouzbèkes –, avant de l’étendre à cette figure de la jet-set. Ce qui avait conduit au blocage d’environ 800 millions de francs en Suisse.
Six ans plus tard, le Ministère public de la Confédération avait condamné son assistante – qui avait reconnu sa culpabilité de sa prison – par ordonnance pénale pour blanchiment d’argent, ouvrant ainsi la voie à la confiscation de plus de 550 millions de dollars sur cinq comptes suisses.
Les avocats de Gulnara Karimova ont multiplié les recours, afin de faire annuler la confiscation de ces fonds. Et notamment un dépôt de 293 millions de dollars à Genève. En décembre dernier, le Tribunal pénal fédéral était pourtant arrivé à la conclusion qu’une grande partie de cette somme devait bien être confisquée. Pourquoi? Parce que Gulnara Karimova, tout comme son assistante, s’était rendue coupable de blanchiment d’argent aggravé. Un argument qui désormais vacille…
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