PrécaritéLa Virgule ponctue son action sociale en misant aussi sur l’accueil en hôtel
Cette association basée à Lancy prend un essor important pour répondre à la crise actuelle. Rencontre à l’heure de la soupe.

«De quoi vit l’homme?» demandait l’auteur dramatique allemand Bertolt Brecht dans son fameux «Opéra de Quat’sous». La réponse, restée célèbre, disait dans sa langue: «Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral!» Traduction libre: d’abord on mange, après on refait le monde.
Le monde ne va pas bien et il a faim. La Virgule, créée en 1994 pour venir en aide aux sans-abri, le sait bien. À son tour, cette association basée à Lancy fait chauffer la soupe, ce plat commun et populaire servi notamment dans différents quartiers de la ville de Genève où se marque la solidarité.

L’élan gagne la proche périphérie et s’arrête désormais deux soirs par semaine, le mercredi et le jeudi, au 64, route du Grand-Lancy. L’adresse est celle de la salle communale, inoccupée comme toutes les autres, mise à l’arrêt pour une durée indéterminée, située juste en face du Café Zinette, ouvert mais en sursis.
On laisse le rideau de scène fermé, on file en cuisine. C’est là que ça se passe. Quatre bénévoles s’activent. Mise en place dans l’allégresse: les rations de pain et fromage sont offertes par un généreux donateur, une petite main pâtissière a confectionné des biscuits de Noël. Mais l’essentiel arrive de la Fondation Partage, la fameuse soupe aux légumes, la meilleure du canton, potion magique et raffinée, confectionnée avec les invendus en fin de vie sur les rayons des supermarchés.
Une deuxième portion, merci beaucoup, en regardant ses voisins glisser leur masque sous le menton. Avec cette bavette pliée, on se ressemble. Appétit commun, précaution partagée, les règles sont les règles, on se remplit le ventre sans s’asseoir.
Pourquoi décrire à nouveau ce moment de solidarité qui se répète ailleurs – à la salle communale de Plainpalais comme dans les abris et foyers d’urgence répartis sur chaque rive – selon un rituel immuable? Parce qu’il est plus essentiel que jamais, parce que le nombre des bénéficiaires augmente, parce que les âges et les couches sociales finissent par se confondre, parce que, à l’heure de «la soupe qui réchauffe les cœurs», la classe moyenne est désormais drôlement présente.
Une femme de terrain le sait mieux que personne. Elle est aussi la plus saluée du soir. Anne-Lise Thomas, à la tête de La Virgule depuis mai 2020, connaît comme sa poche le monde de la précarité, qui le lui rend bien. «Les actions valent tous les mots», répète-t-elle volontiers, sans trop s’éloigner de Brecht. Elle ajoute: «La petite Virgule d’avant est en train de prendre un nouvel essor; ce n’était pas prévu ainsi, dans un pareil déploiement; c’est, de manière certes triste, la période qui le permet et nous y encourage.»
Dans le chantier en cours, la soupe du soir n’est que la partie apéritive de la prestation sociale. L’hébergement proposé à ce jour – 24 places en roulotte (6 lits), foyer (14 lits) et appartement (4 lits) – vise à atteindre les 80 personnes d’ici au 31 décembre. Comment? En misant sur le multisites, des adresses en plus, et pas des moindres, aux Pâquis comme à Carouge, ceci grâce à un partenariat avec un groupe hôtelier (ACCOR Genève).
Lequel groupe met à disposition 25 studios dans une résidence de la Rive droite fermée depuis mars, sans compter un certain nombre de chambres individuelles dans un hôtel carougeois qui a vu sa fréquentation s’effondrer.

«Tout le monde se montre gagnant dans la convention signée, commente Mme Thomas. Les hôteliers peuvent encore sauver quelques emplois, dédiés à cette clientèle nouvelle dont l’association se porte garante quant au paiement de la chambre.» Une clientèle locale qui survit avec son temps, le nôtre, qui galère et ne trouve plus de logement abordable, qui a parfois perdu le sien pendant le confinement, des travailleurs précaires ou sans revenu ponctuel.
Ils sont plombiers, aides-cuisiniers ou jeunes majeurs ayant dû quitter le milieu familial devenu un enfer. Ils n’ont plus d’argent pour nourrir leur enfant et la rue se rapproche. Chaque jour, La Virgule reçoit une dizaine d’appels de demandeurs qui se trouvent dans une situation d’urgence. Pour eux, le bas seuil qui conduit tout droit aux abris PC, c’est après-demain. Demain, ils et elles dormiront à l’hôtel. Un répit sans limite de temps.
Dans la convention, l’aspect éthique n’a pas été oublié. Il est mentionné que l’hôtelier ne peut pas mettre les gens dehors du jour au lendemain afin de récupérer la chambre.
À noter enfin, c’est écrit à l’encre bleue de la Julie, que La Virgule est cette année bénéficiaire de la Thune du cœur, aux côtés de Partage et des Colis du cœur. Le cochon Jules se montre optimiste: «On peut d’ores et déjà annoncer que la collecte sera magnifique.»
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