Prix d’architecture (6/10)La tour qui transforme le quartier des Charmilles
Avec sa façade massive et noire, «Lyon 77» s’élève à cinquante mètres, s’illumine et se démarque dans un quartier à l’esthétique d’un autre temps.

Les uns y voient la première étape nécessaire de la transformation d’un quartier à l’esthétique discutable. Les autres, une tour massive et sombre. Dominant la place des Charmilles du haut de ses 49 mètres, avec sa couleur noire et ses LED marquant le quadrillage à la tombée de la nuit, Lyon 77 ne peut laisser indifférent.
Le projet initial de La Foncière, le fonds de placement propriétaire, ne prévoyait pourtant pas de nouvelle tour. Le bâtiment des années 60 qui s’élevait là devait d’abord être rénové. Mais au moment du calcul des coûts, l’addition allait se révéler faramineuse «pour un résultat qui n’aurait pas complètement satisfait tant nos exigences que celles de notre maître d’ouvrage», relèvent Bénédicte Montant et Carmelo Stendardo, architectes associés du bureau 3BM3, à l’origine du nouveau projet. Faute de pouvoir rénover, il allait falloir démolir et reconstruire.

Destruction spectaculaire
Durant des mois, les habitants du quartier ont alors assisté à ce spectacle saisissant d’un immeuble éventré à partir de son centre. Des robots téléguidés ont commencé par attaquer les étages supérieurs, recrachant les gravats par l’ancienne cage d’escalier. Puis des pelles mécaniques se sont mises à délicatement grignoter la structure comprimée par la rue de Lyon d’un côté et l’avenue d’Aïre de l’autre. Pourquoi tant de précautions? Faute d’espace, il aurait été inimaginable de fermer les trottoirs et les deux artères menant à l’un des principaux carrefours de la ville.
Plus de quatre ans de chantier – la pandémie a fait perdre beaucoup de temps – et la tour s’élève enfin. Alors que l’ancien bâti offrait une dent creuse, le nouvel immeuble se raccorde à l’ancien pour combler l’espace. Horizontalement, Lyon 77 suit la parcelle triangulaire avec une forme brisée soutenant, à son extrémité sud, la tour de 14 étages. Les six premiers ont été conçus pour abriter des bureaux quand les étages 7 à 14 sont dédiés à des logements à la location. Des appartements de trois à cinq pièces. «Tous les espaces sont occupés», soulignent Carmelo Stendardo et Bénédicte Montant, menant la visite des lieux. Entre un restaurant sicilien, un marchand de vélos et un institut de beauté, les arcades du rez-de-chaussée ont également toutes trouvé preneur. Entre elles, un passage public permet de traverser l’immeuble dans sa largeur.


Carrefour immuable
Sur place, le contraste entre la tour et son environnement est saisissant. D’un côté, une structure moderne et affirmée; de l’autre, des immeubles préfabriqués aux couleurs ternes des décennies passées. Le tout cerné par ce carrefour disgracieux, invasif et trop bruyant, si bien que les architectes nourrissaient un projet plus ambitieux au moment de se mettre au travail. «L’objectif initial était de requalifier les lieux, de transformer le carrefour en place des Charmilles, de le rendre aux piétons et à la mobilité douce», confie Carmelo Stendardo, dont les premiers plans prévoyaient également une tour plus haute. Mais les contraintes aéroportuaires ont fixé le plafond à 50 mètres. Quant à l’esplanade libérée du trafic motorisée, elle ne verra pas le jour de sitôt. Le carrefour des Charmilles est dédié au trafic de transit et semble voué à le rester.
Dès lors, les architectes veulent croire que le nouvel immeuble posera la question du devenir du quartier. «Regardez autour de vous, la voiture prédomine, elle prend toute la place», regrette Carmelo Stendardo, imaginant le potentiel de l’avenue d’Aïre, avec ses grands platanes. Si on ne les remarque presque pas, ces arbres majestueux, c’est parce qu’ils semblent rongés par le quartier de l’Europe et Planète Charmilles, «loin d’être de grandes réussites architecturales».

En attendant, l’immeuble semble s’être glissé sur sa parcelle en forme d’entonnoir. À l’intérieur, du béton brut et des lignes marquées par l’étroitesse de l’espace. À l’extérieur, une épaisse grille perforée par des amples fenêtres carrées (2,5 mètres sur 2,5). Porteuse, la façade permet de moduler l’espace intérieur en fonction des usages.
Le noir en question
Enfin, il y a cette couleur noire qui imprègne l’édifice. «Le noir donne du caractère», relèvent les architectes. À l’heure du réchauffement, ne devrait-on pas privilégier les couleurs claires? «La question est pertinente. Mais lorsque nous avons démarré le projet, en 2010, le réchauffement n’était pas une réelle préoccupation, observent Carmelo Stendardo et Bénédicte Montant. S’il fallait recommencer aujourd’hui, peut-être aurions-nous privilégié le blanc.»
Cette opération est réalisée en partenariat avec le Département du territoire.
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