Imaginez-vous au rayon jardinage de votre magasin préféré. Vous choisissez un produit censé être efficace contre les mauvaises herbes qui envahissent votre allée ou vos plants de tomates. Le vendeur vous avertit: «On ne pourra vous le vendre que si vous prenez un cours afin de savoir l’utiliser correctement. Je n’y peux rien, c’est la loi…»
Ce curieux mécanisme, c’est celui échafaudé par la majorité des élus du Conseil national. Le 14 septembre, la Chambre du peuple a examiné une proposition bien plus restrictive de Maya Graf (Les Verts/BL): interdire la vente de produits phytosanitaires toxiques aux utilisateurs non professionnels. Autrement dit, aux jardiniers du dimanche comme vous et moi.
Quelques mois plus tôt, l’agricultrice écologiste bâloise était parvenue à convaincre ses collègues du Conseil des États de la nécessité d’intervenir avec la manière forte. Son argument phare: pas moins de 10% des pesticides et herbicides toxiques, soit environ 200 tonnes de substances actives par an, sont répandus par des amateurs dans notre pays.
Si les sénateurs ont soutenu de justesse l’idée d’une interdiction, leurs homologues du National l’ont écartée, histoire d’éviter d’alourdir une réglementation déjà dense. D’où le choix de cette formation obligatoire qui serait imposée aux particuliers.
Réduction des risques
Face à tant d’inventivité, on comprend l’irritation du camp rose-vert au parlement. Il dénonce une demi-mesure inefficace, tandis qu’Alain Berset se gratte la tête. Le ministre de l’Intérieur (et des extérieurs, osera-t-on ajouter) se demande bien comment mettre en place une telle disposition dans nos vraies vies.
L’histoire serait drôle si elle ne traduisait pas une volonté quasi systématique de freiner les efforts entrepris pour préserver la santé de nos sols et des eaux souterraines. Vous vous souvenez certainement des initiatives populaires antipesticides balayées dans les urnes en juin 2021. Pour contrer ces deux textes, le monde paysan jurait ses grands dieux qu’il soutiendrait la stratégie alternative du Conseil fédéral, tournée vers la réduction des risques liés à l’usage de ces produits. Or, depuis que le gouvernement a annoncé qu’il passerait aux actes par le biais d’une série d’ordonnances contraignantes, le vent a tourné dans les campagnes.
«Les promesses d’hier se heurtent aux réalités d’aujourd’hui. La protection des sols attendra encore un peu.»
On l’a encore vu le 21 septembre à Berne, lorsque le Conseil des États a approuvé plusieurs motions visant à sauvegarder à tout prix la production agricole indigène. Pas question de réduire l’utilisation d’engrais autant que le veut le Conseil fédéral, ni d’affecter 3,5% des terres assolées à des surfaces de promotion de la biodiversité. Le ministre chargé de l’Agriculture, Guy Parmelin, a eu beau insister sur le fait que l’approvisionnement en aliments est assuré en Suisse, rien n’y a fait.
Les promesses d’hier se heurtent ainsi aux réalités d’aujourd’hui. La protection des sols attendra encore un peu. Et nous autres, jardiniers occasionnels, passerons probablement entre les gouttes.
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La rédaction – La Suisse tergiverse sur la limitation des pesticides
Au lieu d’interdire la vente de produits toxiques aux jardiniers du dimanche, le Conseil national préfère inventer une formation alibi. Symptomatique.