C’est le jour d’après qui est le plus difficile. La Suisse se retrouve «avec le plus grand risque bancaire au monde», pour citer l’économiste Charles Wyplosz, l’un des plus brillants observateurs de la place financière suisse. La taille du bilan d’UBS équivaut à près de deux fois le produit intérieur brut du pays (PIB). Par comparaison, la plus grande banque des États-Unis atteint 14% du PIB du pays! C’est dire qu’une défaillance de la nouvelle UBS, si rien n’est fait, mettrait notre pays à genoux, comme ce fut le cas de l’Islande en 2008 ou de la Grèce lors de la crise des dettes souveraines. Contrairement à une croyance largement répandue, les crises financières ne sont pas rares mais une constante depuis l’Antiquité. Comme les tremblements de terre, on ne connaît jamais le moment précis de leur éclatement, mais leur survenue est une certitude.
John Micklethwait et Adrian Wooldridge, respectivement rédacteur en chef et chroniqueur à l’agence de presse financière Bloomberg, le résument ainsi: «L’histoire de la régulation financière est fondamentalement une histoire de la gestion des crises.» La Réserve fédérale américaine, l’équivalent de la Banque nationale suisse (BNS), a été fondée après que le banquier John Pierpont Morgan a enfermé ses collègues dans une pièce pour trouver une solution à la crise financière de 1907. Les lois dites Glass-Steagall, séparant en des unités distinctes les banques d’investissement et les banques commerciales, sont le fait de Franklin Roosevelt au lendemain de la crise de 1929. Allégées par l’administration Clinton, elles furent en partie réintroduites en 2010 dans le Dodd-Frank Act, après l’effondrement de Lehman Brothers.
En Suisse, comme partout dans le monde, on a renforcé les exigences de fonds propres et ajusté les ratios financiers (les réserves de capital à détenir). Les graves crises de plusieurs banques cantonales des années 80, 90 et… 2000 ont amené les instituts financiers à modifier leurs pratiques dans l’octroi des prêts hypothécaires, etc. Et on a même prévu une loi spéciale pour les banques dites systémiques, «trop grandes pour faire faillite», prévoyant l’isolement, le rachat ou le démantèlement des établissements devenus insolvables. Une semaine plus tard, on est face à un monstre bancaire qui est toujours «trop grand pour faire faillite» et probablement «trop grand pour pouvoir être sauvé» par la… petite Confédération. Alors que faire?
«L’autorité de régulation doit être redoutée par les acteurs et bénéficier d’une vraie indépendance, comparable au statut de la Banque nationale suisse ou de l’autorité chargée de la sécurité nucléaire.»
Des idées sont sur la table (lire en pages 2-3). Les dépôts à vue, l’épargne pour l’essentiel, doivent être protégés des activités spéculatives à hauts risques. La banque universelle, si elle subsiste, ne doit pas être exposée à des engagements commerciaux qui puissent la rendre vulnérable à des fluctuations brutales des marchés financiers. Enfin, il faut veiller à ce que l’économie bancaire soit soumise à une forte concurrence. La colère passée, la Suisse sera contrainte d’innover sur le plan régulatoire et dans les techniques financières permettant d’instaurer des coupe-feu en cas de surchauffe ou de dysfonctionnement des marchés financiers. Et surtout, l’autorité de régulation doit être redoutée par les acteurs et bénéficier d’une vraie indépendance, comparable au statut de la Banque nationale suisse ou de l’autorité chargée de la sécurité nucléaire.
Il est beaucoup trop tôt pour juger de la solidité de la nouvelle UBS, mais préparons-nous à une nouvelle crise financière. L’explosion de la bulle immobilière que redoute la BNS depuis plusieurs années ou l’effondrement du secteur financier non régulé pourraient être les prochains tremblements de terre. Seule, la Suisse ne pourra pas tout régler. Elle doit déterminer le niveau de risque auquel elle s’expose et non imaginer qu’il pourrait être nul. Elle pourrait, rêvons un peu, être à l’avant-garde afin d’éviter un nouveau dimanche noir, indigne d’un pays réputé pour son savoir-faire bancaire.
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La chronique économique – La Suisse face à un monstre
UBS fait peser un nouveau risque énorme sur le pays. Saura-t-on innover et être audacieux?