
Que l’on soit de gauche ou de droite, le coût de la santé est un sujet important, qui plus est à l’approche d’élections cantonales. Comme l’indiquent les textes de nos invités, l’introduction d’une caisse cantonale n’est pas pour demain. Le socialiste Emmanuel Deonna comme le libéral-radical Pierre Nicollier, fondateur et directeur d’un réseau de médecins de famille, explorent d’autres pistes.
D’un système de soins à un système de santé
Les primes d’assurance maladie continuent à augmenter d’année en année. En dépit des subsides auxquels nous avons droit, elles représentent une part très importante de nos dépenses, en particulier pour les classes moyennes et populaires. C’est d’autant plus problématique que les ménages subissent déjà une nette augmentation des coûts qu’ils doivent assumer au quotidien depuis la pandémie et la guerre en Ukraine: loyer, énergie, alimentation.
En vertu de la Constitution cantonale, l’accès universel aux soins doit être garanti pour l’ensemble de la population. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Une étude populationnelle du «Bus Santé» montre que 13% des adultes assurés à Genève renoncent à des soins pour des raisons économiques. Pour les ménages ayant moins de 3000 francs par mois, ce sont 30% des personnes qui y renoncent! La crise sanitaire a mis à rude épreuve le système des soins, même si ce dernier s’est révélé très résilient. Acceptée par le peuple, l’initiative pour des soins infirmiers forts doit encore être mise en œuvre. Les métiers du soin à la personne sont indispensables à la cohésion sociale. Ils ne sont toujours pas reconnus à leur juste valeur. En témoigne le mouvement des assistant.e.s en soin et santé communautaire (ASSC), quotidiennement au chevet des personnes malades, aînées et handicapées. Elles se rassemblent depuis plusieurs mois devant le Grand Conseil afin d’obtenir une revalorisation de leur salaire et des conditions de travail dignes.
En raison de l’influence très marquée des lobbys des assureurs et des groupes pharmaceutiques, une réforme fondamentale du système de santé et de soins n’est pas pour l’instant en ligne de mire. Car, comme le soulignent les experts, ce dernier est largement façonné par l’idéologie néolibérale qui fait primer le profit financier avant tout. Le financement à l’acte pousse les différents acteurs du système de santé à multiplier les actes même si ces derniers sont coûteux ou non pertinents. Le système entre partenaires tarifaires est régi par des rapports de force et non pas en vue de l’intérêt commun.
La Confédération investit malheureusement encore peu dans la prévention et la promotion de la santé. Garder la population en bonne santé le plus longtemps possible devrait être la priorité avec l’augmentation des maladies chroniques, le vieillissement de la population et l’accroissement démographique. Genève gagnerait à investir davantage dans la santé préventive et la santé communautaire. La santé buccodentaire reflète particulièrement les inégalités sociales. Les personnes modestes y ont très peu accès puisqu’elle exige de conclure des contrats d’assurance régis par de nombreuses clauses restrictives ou de payer des honoraires élevés de sa poche.
C’est dans cet esprit que le Parti socialiste a déposé la semaine dernière l’initiative pour la prévention et les soins dentaires qui prévoit un plan d’action pour promouvoir la santé buccodentaire ainsi que l’octroi d’un chèque annuel de 300 fr. à toutes et tous les bénéficiaires de subsides d’assurance maladie.
Caisse cantonale ou maîtrise des coûts?
Innovons pour maîtriser les coûts de la santé plutôt que d’ajouter des charges administratives! Dans le cadre des prochaines élections, plusieurs partis proposent la création d’une caisse publique cantonale pour l’assurance obligatoire au lieu de s’atteler à une réduction des coûts. Ils ignorent sans doute certains aspects du fonctionnement complexe de notre système de santé. Le premier est l’intérêt des caisses maladie pour l’assurance obligatoire. Sous la tutelle de la Confédération, ces caisses ne génèrent en effet pas de profit via cette assurance. Elles cherchent à offrir des primes basses pour augmenter le nombre d’assurés auxquels elles proposent des assurances complémentaires. Celles-ci sont des sources de profit significatives. Le second élément est le différentiel entre l’évolution des coûts de la santé et l’augmentation des primes. Cette différence peut être expliquée par deux phénomènes. Tout d’abord, nous observons un transfert de charges des cantons vers les assurés. Ce transfert est lié à la transition du stationnaire à l’ambulatoire. Pour rappel, les hospitalisations sont financées à hauteur de 55% par les cantons et seulement à 45% par nos primes alors que l’ambulatoire est à 100% à la charge des assurances. Ceci sera réglé avec l’introduction d’une structure tarifaire unique (projet 09.528 aux Chambres fédérales).
Le second phénomène est l’augmentation perpétuelle des réserves. Les bases légales et réglementaires permettant leur réduction et surtout leur transmission lors d’un changement de caisse doivent être mises en place sans attendre.
Finalement, seule une maîtrise des coûts permettra une maîtrise des primes. Pour cela nous pouvons identifier trois actions prioritaires. La première est l’amélioration générale de la santé de la population, en particulier pour les maladies non transmissibles (ex. hypertension, diabète…). Pour ce faire, nous devons valoriser les actions de prévention non remboursées dans notre système de santé, tout en nous donnant plus de moyens d’innovation.
La seconde est l’amélioration de la qualité de la prise en charge des patients. Nous devons soutenir les projets comme la smarter medicine (réduction des actes inappropriés) et faciliter les efforts de coordination (ex. réseaux de soins, plateformes numériques). La dernière est l’élimination des poches de profit indues. Un exemple souvent cité est le prix des médicaments. Les importations parallèles doivent être facilitées et un durcissement des négociations avec les entreprises productrices est nécessaire. Les assurances, actives à l’échelle de la Suisse, peuvent se permettre d’innover et d’investir dans des projets médicaux mais également dans des projets d’infrastructures informatiques dont nous pourront tous bénéficier (ex: plateformes Well ou Compassana). Dans le cadre actuel, ajouter une couche administrative gérée par l’État, et à l’échelle du canton, ne fera qu’augmenter les coûts, et donc les primes…
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Face-à-face – La santé et son coût