Façon «Loft Story» à la RTS«Guerre des sexes au chalet» mate le sexe de l’époque
Sous le label Temps Présent, le réalisateur Jacob Berger filme quatre hommes, quatre femmes, plein de possibilités. Prototype.

Dans ce «mazot» luxueux accroché à la montagne, quatre femmes et quatre hommes sont filmés en continu durant un long week-end. «La guerre des sexes au chalet», nouvelle production RTS, a des airs de «Loft Story» mais sans Loana et Jean-Edouard dans la piscine, sans les vitres sans tain, sans autre prix à gagner qu’un peu de compréhension. Sur un concept imaginé avec la productrice Laurence Gemperlé, le réalisateur Jacob Berger a cloîtré ses cobayes en Haute-Savoie au Grand Bornand, avec une douzaine de techniciens, pour provoquer un autre discours à une époque si encline au bavardage cacophonique.
Choisis pour leur profil, la néoféministe, la routarde militante, le trans assumé, le coach cisgenre, la «iel» non binaire, le vieux beau, le jeune beau et autre personne avec ou sans vulve, causent sexe ad libitum. Entre cris et chuchotements, larmes rageuses et sourires ironiques, une carte du tendre inédite s’esquisse. Sorti secoué mais indemne de l’expérience, Jacob Berger «débriefe».
Pourquoi revenir à la télé-réalité, banale désormais?
Décriée, racoleuse… et à tort! À l’origine, dans les années 70 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le genre offrait des immersions passionnantes dans les services d’urgence, chez les pompiers etc. Chez nous, Yves Dalain le relançait en 1984 en enfermant dans un refuge jurassien des racistes et des antiracistes. Au début des années 2000 tous les shows débiles du type «Secret Story» avec coucheries, secrets volés, votes du public etc. dénaturaient la démarche. Pourtant, en soi, la télé-réalité n’est pas stupide.

Qu’apporte-t-elle?
Rompant avec l’esthétique classique du débat à la «Infrarouge», elle rassemble dans une unité de temps et de lieu des gens qui s’affrontent hors des codes traditionnels. Pas de réels spécialistes ici, pas de discours préparés, de notes décochées avec stratégie… Les participants échangent dans la spontanéité de l’émotion.
Sur le thème du genre sexuel, il est frappant de voir leur difficulté à s’accorder sur une terminologie.
Jusqu’à manipuler un jargon parfois grotesque, dans cette séquence où la néoféministe accuse de classer un trans parmi les «femmes», ce qu’elle juge blessant et déshonorant, elle qui préfèrerait entendre «personne à vulve»… (Soupirs) J’ai été frappé de voir combien les conflits naissaient souvent autour des mots utilisés. Mais au fond, chaque génération use d’un vocabulaire précis comme d’un laissez-passer idéologique qui paraît abscons à ses aînés. Voyez le terme de «révolution prolétarienne» des années 60…

Ce choc du langage culmine avec l’irruption de Me Marc Bonnant qui joue le réac’ éloquent. Provoc qui tourne au pétard mouillé…
S’ils sont subjugués par la maestria de son discours sur le patriarcat et selon lui, la responsabilité des femmes dans cette affaire, ils repassent vite au mode «Cause toujours». En fait, je m’attendais vraiment à un fossé entre les sexes, je suis plutôt tombé sur un écart entre les générations et les classes sociales. Là se marquent les contradictions, avec ceux qui savent par leur éducation jongler avec les concepts identitaires, leur polysémie, et les autres qui se débrouillent avec le réel beaucoup plus sommaire des fins de mois à boucler.
D’où l’agacement parfois, de minorités qui veulent toute la place?
Cette petite expérience débouche par moments sur un état de fait flippant. Les redresseurs de torts qui n’ont à la bouche que des injonctions définitives, ça énerve et lasse. Mais c’est l’avantage d’une émission de ce type. Laissant la parole libre dans une interaction de moyenne durée, elle peut donner une idée plus forgée que le traitement classique sur des sujets «chauds», identité sexuelle, wokisme etc. Au final d’ailleurs, chacun a amorti l’épreuve de ce week-end en avouant avoir changé. Je pense aux féministes les plus ardentes comme Coralie, ou à Clément si persuadé de sa bonne conduite qui, soudain, s’est dit ébranlé quant à sa perception du consentement de sa partenaire, par exemple. Les rôles ont circulé, les gens ne se sont pas engoncés dans un personnage typé, et ça, c’était formidable.
Avec pourtant, un sentiment d’inachevé, non?
Nous aurions aimé poursuivre, c’est certain. Mais si ça plaît, nous pourrons peut-être renouveler la formule en tirant la leçon de ce premier essai!
«Guerre des sexes au chalet»
RTS 1, Temps Présent, je 26 janv. / 2 fév. 20 h 10
Vous avez trouvé une erreur?Merci de nous la signaler.