
C’est une transition écologique réussie mais passée presque inaperçue. Des grandes villes du Sud-Ouest américain, Las Vegas, San Diego ou Phoenix, ne craignent plus de manquer d’eau potable, alors même qu’elles affrontent depuis des décennies de terribles sécheresses et un assèchement inquiétant du grand fleuve Colorado.
La responsable de l’organisme chargé des eaux de San Diego, Sandra Kerl, a même déclaré: «Nous avons suffisamment d’approvisionnement maintenant et à l’avenir. Nous avons récemment fait un stress test, et nous sommes bons jusqu’en 2045 et même au-delà.»
Et cela dans une région qui connaît un boom économique et démographique. Dans une enquête fouillée, publiée sur le site de référence e360.yale.edu, le journaliste Jim Robbins raconte le combat des grandes métropoles du Sud-Ouest américain pour s’adapter au manque chronique d’eau, réduire les quantités d’or bleu dédiées à l’agriculture, capter les pluies en cas de crue et recycler le maximum d’eaux souillées pour les redistribuer en boucle dans le circuit.
En vingt ans, la Californie et les États voisins auront dépensé des milliards pour mieux gérer une ressource trop longtemps gaspillée. Sur neuf villes étudiées dans le bassin du fleuve Colorado, la baisse de la demande en eau a été en moyenne de 19 à 48% de 2000 à 2015 (-43% à San Diego!). Et cela alors même que la population urbaine a fortement augmenté.
«Sur neuf villes étudiées dans le bassin du fleuve Colorado, la baisse de la demande en eau a été en moyenne de 19 à 48% de 2000 à 2015. Et cela alors même que la population urbaine a fortement augmenté.»
La ville de San Diego, entourée d’un quasi-désert, a réduit de près de 80% ses prélèvements dans le fleuve Colorado et n’en dépend plus que pour 11% de ses besoins. Las Vegas, ville flamboyante, connue pour ses excès en tout genre, a fait la chasse aux pelouses pour les remplacer par des plantes adaptées au désert et mis en place un système de surveillance high-tech pour traquer les moindres fuites d’eau…
Ces mêmes cités ont financé des investissements chez les agriculteurs pour les aider à transformer leur système d’arrosage en circuits goutte à goutte, beaucoup plus efficaces et très économes. Enfin, les réseaux d’eau stockent désormais dans des lacs ou des cavernes les eaux de pluie excédentaires, permettant de réalimenter les nappes et d’éviter que les rivières ne s’assèchent trop rapidement.
À San Diego, sur le site de la ville, on vante le jardinage économe en eau, les plantations de variétés très résistantes aux grandes chaleurs et à la sécheresse. Les propriétaires privés sont dédommagés pour arracher le gazon et les terrains de golf sont à l’amende s’ils ne respectent pas strictement les quotas d’eau qui leur sont alloués. Enfin, partout, l’eau potable n’est plus utilisée pour l’eau sanitaire, et le recyclage est la règle pour les immeubles et usines.
Les Américains n’ont pas fondamentalement changé de comportement, mais des dispositifs techniques empêchent le gaspillage à l’insu des utilisateurs. Cette démarche rappelle le combat d’un pionnier que beaucoup d’ingénieurs romands ont connu, Manfred Appelt.
Je me souviens d’une expérience qu’il avait menée dans le canton de Neuchâtel au début des années 90, offrant à une commune la possibilité d’économiser une fraction importante de son eau et de son électricité par la pose de réducteurs de pression, d’interrupteurs d’éclairage automatiques, la suppression des systèmes de mise en veille des appareils électriques qui nécessitent à eux seuls l’électricité produite à perte d’une demi-centrale nucléaire en Suisse…
Pour quelques milliers de francs, l’économie en eau et en électricité aurait été de l’ordre de 30% pour l’école du village s’il avait été entendu. C’est en quelque sorte la même démarche que les villes du Sud-Ouest américain ont suivie ces vingt dernières années: une adaptation à la frugalité, sans baisser le confort. Au contraire, les parterres fleuris qui ornent désormais les maisons de San Diego sont tout simplement magnifiques, même s’ils demandent un peu plus d’huile de coude à l’entretien.
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Chronique économique – La révolution silencieuse de l’Ouest américain
Les grandes villes américaines de Californie et d’Arizona ont appris à gérer l’eau, qui se fait rare.