Polar de sociétéLa «reine Elizabeth» ose aborder l’excision
Dans «Une chose à cacher», la romancière Elizabeth George arrime son intrigue policière à un sujet tabou: les mutilations sexuelles infligées aux jeunes filles.

Lorsqu’on referme «Une chose à cacher», on se demande comment c’est possible. Non en raison de la perversité de l’assassin ou la difficulté de l’enquête, mais parce qu’Elizabeth George y aborde frontalement les mutilations génitales infligées aux jeunes filles dans une histoire qu’elle ne situe ni au Moyen Âge, ni sur une autre planète. Simisola, Boluwatife et Lim, ses personnages, vivent à Londres, aujourd’hui. Toutes trois sont nées au Royaume-Uni dans des familles d’origine nigériane soucieuses de perpétuer la tradition de l’excision, condition d’un «bon» mariage, même s’il leur faut pour cela enfreindre la loi britannique.
Si les deux premières jeunes filles – on peut même les qualifier de fillettes, puisque Simisola a 8 ans – doivent au fil des pages du roman échapper au cutter des exciseuses assignées par leurs parents, la dernière en est morte. Les douleurs de Lim après l’intervention furent si atroces qu’elles ont poussé l’enfant au suicide.
Enjeu: le passeport
Il arrive que la mutilation ne puisse pas être pratiquée à Londres. Tani, le frère de Simisola, veille sur sa sœur avec l’aide de sa petite amie et se dresse férocement contre son père, Abeo Bankole. L’enjeu entre le chef de famille et son fils rebelle, c’est le passeport de l’enfant. Qui le possède peut, en dernier recours, enlever la fillette et l’emmener au Nigeria, où grands-mères et tantes se chargent de la besogne.
Car ce qui est troublant, et souligné par Elizabeth George, c’est le rôle des femmes dans ces atrocités. Quelle sera la position de Monifa Bankole? La mère de Simisola osera-t-elle braver son époux, les coutumes de son ethnie et, en épargnant ces tortures à sa fille, prendre le risque de la «déprécier» sur le marché matrimonial? La réponse à cette question clôt en quelque sorte le roman.
Rôle clé pour Deborah
À la Maison de l’orchidée, on informe, on accueille et il arrive même que l’on cache les adolescentes nigérianes et somaliennes (les deux communautés qui, à Londres, perpétuent les mutilations génitales au nom de la tradition) décidées à échapper au couteau. Le lecteur suit pas à pas la photographe Deborah Saint-James lorsqu’elle réalise les portraits d’adolescentes fréquentant les lieux. Il fait ainsi la connaissance d’une chirurgienne britannique qui tente de réparer les corps mutilés et d’un couple ayant recours à ses services.
Or Deborah est liée à l’inspecteur de Scotland Yard Thomas Lynley et à ses deux enquêteurs, Barbara Havers et Winston Nkata, héros récurrents de la romancière américaine. Les trois policiers s’échinent à découvrir l’assassin d’une des leurs, Teo Bontempi, active dans la brigade de lutte contre les mutilations génitales féminines et infiltrée dans le milieu des exciseuses sous le nom d’Adaku Obiaka.
Thèmes de société
Elizabeth George s’empare d’un thème de société pour construire son polar et l’enrichir d’une foule d’implications psychologiques qui titillent le lecteur, comme elle a traité de la pédophilie au sein de l’Église dans «La punition qu’elle mérite», en 2019, du meurtre d’un bambin par des enfants («Le cortège de la mort», en 2011) ou encore du handicap physique et mental dans «Une avalanche de conséquences», en 2016, également abordé dans «Une chose à cacher» avec le personnage de Lilybet.
Des remerciements adressés par l’écrivaine à la fin du roman, on comprend qu’elle a dû questionner souvent ses paradigmes de femme blanche de 73 ans, américaine et privilégiée, afin d’écrire son histoire en évitant autant que possible la condescendance. Elle y parvient plutôt bien, en adoptant fréquemment le point de vue de Tani, de Zawadi ou de Narissa.
«Une chose à cacher» d’Elizabeth George, Les Presses de la Cité, 652 p.
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