Archives genevoisesLa recherche historique entravée par une loi fiscale
Les archives successorales de Genève jusqu’ici ouvertes aux chercheurs ne le sont plus, en raison d’un changement de législation qui fait primer une loi sur l’impôt sur celle en vigueur.
Ce billet est signé par un blogueur de la plateforme «Les Blogs» en partenariat avec la «Tribune de Genève». Il n’engage pas la Rédaction.

Il est toujours curieux lorsque le simple citoyen est soudainement confronté à un changement de pratique de la part de l’État, sans que ce changement semble lié à autre chose qu’un juridisme étroit. Ni plainte, ni problème avéré, mais simplement un ou deux juristes ou décideurs lambda qui soudainement cassent des habitudes au nom du respect du droit qu’ils interprètent à leur sauce. Un cas tout récent frappe Genève, et affecte la recherche en Histoire sociale de notre canton.
Les Archives constituent notre mémoire collective. S’y plonge notre Histoire, glorieuse ou méconnue, nos racines, bref, beaucoup de notre canton. Parmi les documents riches en enseignements, se trouvent les sources fiscales sous la cote «enregistrement et timbre». Dès qu’une personne décède, une déclaration officielle de ses biens est établie. C’est le cas aujourd’hui, mais cette pratique est ancienne et les déclarations conservées. Cette déclaration sert à délimiter les biens d’une personne décédée, mais aussi à répartir ces biens entre héritiers, qui sont listés, et naturellement à taxer d’éventuels impôts sur les successions.
Testaments, contrats de mariage, une mine pour la recherche
Les archives sont publiques, mais afin de protéger la sphère privée, des règles existent pour limiter l’accès à certains documents pendant une période donnée. Seulement voilà: Genève dispose bien d’une loi sur les Archives qui protège l’accès aux déclarations de successions, mais elle a aussi une loi fiscale qui assure le secret fiscal. Jusqu’à récemment, c’est la loi sur les archives qui réglementait l’accès aux documents fiscaux. Depuis peu, et sans qu’on comprenne vraiment l’origine, l’État a décidé que la loi fiscale devait s’appliquer, c’est-à-dire qu’elle est supérieure à la loi sur les archives. Désormais, les déclarations fiscales sont secrètes pour l’éternité. L’impôt est plus fort que le parchemin.
Quel est problème? simplement que les déclarations de successions, et plus généralement tous les documents de la cote «enregistrement et timbre» (testaments, contrats de mariage, etc.), sont une mine pour les études en Histoire sociale et en Histoire des populations. Ces disciplines, qui manquent déjà cruellement de recherches en Histoire locale, voient les documents les plus instructifs être interdits. On comprend mal pourquoi la consultation de la déclaration fiscale d’un citoyen mort en 1825 pose de tels enjeux qu’il faille l’affubler du sceau du secret. C’est idiot et possiblement unique au monde.
Un savoir-faire rare à l’UNIGE
L’État a rétorqué que des dérogations sont toujours possibles, au cas par cas. C’est méconnaître la recherche historique. Pendant 6 ans de recherche sur une thèse à l’UNIGE, j’ai travaillé sur ces documents. Je m’y étais lancé sans savoir exactement ce que je pourrais en tirer. Impossible de faire une demande dûment justifiée. Au final, mes découvertes ont été suffisamment intéressantes pour animer des discussions bien au-delà de nos frontières. Il faut ici préciser que nulle part dans le monde je n’ai croisé un chercheur me parlant d’une règle aussi idiote.
Le paradoxe est que l’Université de Genève, depuis les années 1980, recèle un savoir-faire rare en Histoire des populations. Avec le professeur Alfred Perrenoud d’abord, puis le professeur Michel Oris depuis une vingtaine d’années. Plusieurs thèses se sont appuyées sur les déclarations fiscales du XIXe siècle, ou des documents de la cote devenue taboue. Lié au projet international Early Life, né dans une collaboration entre Japon et États-Unis, une équipe de recherche de l’UNIGE soutenue de nombreuses années par le Fonds National de la Recherche, a exploré l’Histoire de la population genevoise. Le brusque coup d’arrêt mis à la consultation de documents centenaires interroge. Assurément, il tue des recherches en Histoire locale.
Les lois de l’État et leur respect assurent le bon fonctionnement de notre collectivité. Nul ne le met en doute. Du moment où deux règles s’opposent et que par prudence, certains diront couardise, l’État préfère appliquer la règle du pire, Genève perd. Ici, elle perd une partie de sa recherche historique. Des exceptions existent dans la loi fiscale, mais nul n’a jamais eu la présence d’esprit d’y ajouter un dispositif pour préserver la recherche scientifique. Aujourd’hui, Genève entre en campagne électorale et les élus peuvent agir concrètement pour aider la recherche sur les archives. C’est peut-être un détail dans l’actualité du jour, mais le remède n’est pas si compliqué. Qui osera?
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