La quête de consolation selon Lambert Wilson
L'artiste prête sa voix au Geneva Camerata et à un texte de Stig Dagerman.

On doit à Stig Dagerman des romans et des écrits qu'il qualifiait d'amers, et qui, presque tous, portent la marque de son expérience de témoin de la fin tragique de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne. Spectateur des bombardements qui ont effacé de la carte des joyaux urbains, le Suédois ne se relèvera jamais de cette expérience traumatisante. Avant son suicide, survenu en 1954, à l'âge de 31 ans, le journaliste et écrivain publie un ultime texte, sombre et annonciateur de son geste fatal: Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. C'est notamment par quelques extraits de cette prose sombre que le Geneva Camerata commence sa saison. L'orchestre fondé et dirigé par David Greilsammer en confie la prose à la compositrice Núria Giménez Comas et à la voix de Lambert Wilson. L'homme de scène et d'écran dit aimer le défi que pose ce genre de projets. A la veille de l'unique représentation, il nous reçoit pour évoquer d'une voix barytonale les traits de cette aventure artistique.
Qu'avez-vous ressenti en découvrant le texte de Stig Dagerman?
Je connaissais de loin l'auteur, mais en approchant Notre besoin de consolation… je me suis rendu compte qu'il s'agissait d'une œuvre bien repérée, qui a suscité d'autres créations musicales; j'ai mesuré aussi son importance et sa puissance.
Avez-vous trouvé entre ses lignes des points de tangence avec votre vision de la vie?
On ne peut pas comparer mon expérience avec celle de quelqu'un qui a assisté aux ravages de la fin de la Seconde Guerre mondiale, aux horreurs de la destruction, à la misère humaine et à son lot de violence et d'injustice. Je comprends ce dont il parle, surtout lorsqu'il évoque ces pseudo-consolations qui n'apportent pas de réponses valables à ses questionnements. J'entends sa démonstration finale, lorsqu'il dit qu'il n'y a qu'une seule vraie consolation, celle de sa liberté intérieure. Mais l'auteur fait partie de ces grandes sensibilités dépressives et quasi nihilistes que je sens éloignées de ma sensibilité.
Comment faut-il le dire, ce texte?
J'ai l'impression que tout commence par une voix intérieure qui avance tel un mouvement de vagues. L'écriture orchestrale fait d'ailleurs penser à cela, à un mouvement calme et paisible. Puis, soudainement, on est pris par de grands tourments, par des ouragans, et on ne se demande plus comment réciter. On n'a pas d'autre choix que de le hurler, d'être avec les tumultes de l'orchestre. Je pense que la musique détermine la façon de dire les mots. Il y a un processus miraculeux, une osmose qui doit prendre forme entre les musiciens et l'acteur. Il faut se laisser imprégner par l'environnement et ne pas entrer en contradiction avec la musique. Je suis un instrumentiste parmi d'autres. Je tiens beaucoup à rendre les mots intelligibles au public, sans théâtralisations inutiles.
Vous êtes un habitué de ce genre de projets artistiques. Où situez-vous celui-ci?
Le travail est très différent d'une lecture de Peer Gynt de Grieg ou du Martyre de saint Sébastien de Debussy. Dans chaque œuvre, je trouve une école et une façon de dire le texte. Dans ce cas précis, j'ai l'impression qu'il y a des analogies avec Schönberg, qui a su faire du récitant un porteur de messages et un faiseur de sons.
Quels défis pose l'écriture de la compositrice Núria Giménez Comas?
Sans doute celui d'être en place, en phase avec l'orchestre. Ici, on compte tout le temps, c'est un exercice musical compliqué qui ne laisse aucune marge au récitant. Du coup, je dois toujours savoir où je me situe. Je bats la mesure intérieurement, comme le chef David Greilsammer. Ma marge, elle se situe dans l'expression, dans le jeu d'acteur qui permet de se servir des mots comme on veut. A nouveau, je tiens à ce que le texte passe auprès du public, qu'il touche quelqu'un qui serait moyennement intéressé par l'œuvre.
Que vous apporte cette expérience par rapport à celles que vous vivez sur les planches de théâtre et sur les plateaux de cinéma?
C'est la prise de risque et l'adrénaline qui en découle. Il y a quelques jours, j'ai été confronté à une expérience forte, au Théâtre national de Nice, où j'ai découvert en même temps que le public le texte d'une pièce d'un auteur iranien. J'ai dû créer le spectacle en le découvrant. J'ai trouvé cela passionnant parce que c'était parfaitement unique. Ce genre de difficultés provoque des états de grande concentration mais, à la fin du spectacle, il fait rayonner tous ceux qui y participent.
La prise de risque sous-entend qu'il y a aussi la possibilité de l'erreur, du ratage. Comment appréhendez-vous ce danger?
Je suis très perfectionniste. Si je sors du concert en sachant dans mon for intérieur que j'ai bluffé et que je n'ai pas été en place, je suis déçu. Il m'est arrivé une fois, en participant à la représentation d'une pièce du compositeur Guillaume Connesson, de devoir gérer des pages qui s'étaient collées les unes aux autres. J'ai dû sauter des passages et cela a généré un sacré chaos. Personne dans le public ne s'en est aperçu, mais le compositeur, tout comme le chef et les musiciens, oui. J'ai connu la honte de ma vie. Ce fut pire que de rater des vers de Racine.
Geneva Camerata, Gautier Capuçon (violoncelle), Lambert Wilson (récitant)Victoria Hall, ma 19 sept. à 20 h. Rens. www.genevacamerata.com
Cet article a été automatiquement importé de notre ancien système de gestion de contenu vers notre nouveau site web. Il est possible qu'il comporte quelques erreurs de mise en page. Veuillez nous signaler toute erreur à community-feedback@tamedia.ch. Nous vous remercions de votre compréhension et votre collaboration.